On l’a tous cherchée, cette maison bleue. Venue à San Francisco en 1996, j’ai écarquillé grand mes yeux devant toutes les maisons susceptibles d’être THE ONE, la mythique, celle immortalisée dans une chanson entrée au patrimoine il y a quarante ans. Je la situais plutôt sur Haight-Ashbury, le quartier collant bien avec le texte. De long en large, dans tous les sens, m’arrêtant dès que le moindre Ripolin bleu recouvrait une façade. Mais rien de sûr. Et puis, on remet la tête dans le texte à la recherche du moindre indice jusqu’au doute : « si San Francisco s’embrume, si San Francisco s’allume », la maison n’est-elle pas en face, de l’autre côté de Bay Bridge, à Oakland, d’où l’on voit la ville ? D’autant plus que trouver une maison, sur une colline, où l’on peut rouler dans l’herbe, relève de l’exceptionnel dans les vieux quartiers de San Francisco. Je l’imaginais comme une grande bicoque un peu de guingois, trapue, les flancs larges pour accueillir la bande de contestataires aux cheveux longs, au beau milieu d’une grande friche pleine d’herbes folles à fumer et de fleurs sauvages pour les cheveux des filles. Echec donc sur toute la ligne, retour bredouille, la maison a dû être démolie par un entrepreneur peu nostalgique. Fin de l’histoire.
Pas tout à fait. Un journaliste a mis la main dessus. La maison a une adresse. Elle est verte, elle est bourgeoise, étroite et haute. Elle coûte 2 millions de dollars. Elle ne me plaît pas.
Elle n’est plus le refuge de hippies contestataires, solaires et plein d’espérances. Elle est un investissement immobilier dans un quartier recherché. Fin juin 2011, on l’a repeinte. En bleu, sur deux tons. Sa valeur marchande doit avoir pris 10%. Nous sommes très loin du Summer of Love.
La mienne existe pourtant et doit être délabrée aujourd’hui, fanée, le bleu azur d’origine délavé par quarante années de pluie et de brouillard. Mais je suis certaine qu’elle demeure toujours, sans doute restée debout pour quelques seuls fous. Et quand le soir tombe sur San Francisco, que la brume recouvre les collines et l’océan, une petite lumière s’allume encore quelque part dans la ville. « Lizzard et Luc, Psylvia, attendez-moi ».