Les trois lieux emblématiques de Berlin se rencontrent dans la foulée, sur la Ebertstraße, en remontant vers le Nord, à partir de la station Postdamer Platz. La sortie du métro qui vous projette au cœur du renouveau urbain de Berlin, ultramoderne, planté de hauts buildings, de tours de verre et d’acier, secoue, surtout de nuit. Je suis restée plantée là, tournant au ralenti, le palpitant sur pause, éberluée par le gigantisme, la débauche de lumière, la métamorphose d’un lieu qui habite mon univers perso depuis plus 20 ans. Pour un peu, je me serais laissée choir par terre, toute perturbée et disloquée que j’étais, le temps de me remettre en phase avec le bon siècle.

Parce qu’en ce qui me concerne, Postdamer Platz, c’est ça,

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ou ça, DR

mais certainement pas ça.

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Oui, je sais, blablabla, on ne laisse pas un terrain vague, une friche, un « middle of nowhere » au sein d’une capitale européenne en pleine mutation, une ville doit se reconstruire, gommer ses cicatrices les plus béantes pour se mettre en marche vers l’avant. Tout à fait. Mais était-on obligé de faire un grand bazar aussi laid, un Manhattan artificiel, une protubérance aussi disgracieuse que disproportionnée, factice, tendance un jour, donc dépassée demain, dans une ville où les immeubles historiques ne dépassent pas six étages ?  Tout est évidemment affaire de gros sous, de rentabilité au mètre carré, de retour rapide sur investissement, Daimler mit sur la table 1,5 milliard d’euros, s’offrit monsieur Centre Pompidou, Renzo Piano, pour sa tour, Sony conçut son siège comme un vaste atrium transparent surmonté d’un toit de verre sur cercle d’acier, les bureaux poussèrent comme des champignons tchernobilisés, Le Ritz-Carlton accueille les hommes d’affaires, les larges avenues charrient les Mercedes et les Audi, tout va très bien, merci. Nous, on a fui.

Juste un détail, au sein du Sony Center, se cache un musée du cinéma allemand très bien conçu (Filmmuseum Berlin), où, dans une remarquable scénographie, on retrace l’évolution du 7ème art ; les salles les plus passionnantes sont consacrées au muet, à l’Expressionnisme (Wiene, Lang, Murnau, Wegener…) ainsi qu’aux années sombres avec Leni Riefenstahl, les films de propagande, Veit Harlan et consorts, dans une salle cafardeuse et bouchée, murées de tiroirs secrets qui renferment l’indicible.

En allant au Reichstag, siège du Bundestag, on passe derrière la Porte de Brandebourg, qui se trouvait, lors de la partition de la ville, pile au milieu du No Man’s land : discours de Kennedy en 63, images d’un mur débordé en 89, on ne se lasse pas de passer encore et encore au travers de ses piliers, de la regarder fièrement plantée comme symbole de la réunification, surmontée du fameux quadrige de la Victoire.

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Est-il nécessaire de rendre visite au Parlement – quand on parle du Reichstag, on pense à 1933 et on débande illico ou à ce drapeau soviétique qui flottait sur les ruines en mai 1945 – ? Il draine désormais une foule de visiteurs depuis l’installation d’une coupole de verre,  un dôme intégré à son architecture XIXème, comme le Louvre avec sa pyramide. De nuit, oui. Les billets se réservent à l’avance sur le net et la vue qui domine tout Berlin éclairé vaut le déplacement. De jour, je suis plus dubitative.

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En retournant au métro, nous remarquons une série de croix blanches, des noms, des dates…des héros fauchés par les Vopos en tentant de franchir le Mur. Le travail de mémoire de Berlin ne cessera de nous étonner durant tout le séjour.