Si je vous dis « Auvers-sur-Oise », vous me répondez « son église, Van Gogh, le docteur Gachet, Pissarro… ». Nous sommes d’accord. Mais, ce village du Vexin, hyper touristique dès que le soleil rapplique, héberge aussi un inattendu et discret musée de l’absinthe, qui apporte son lot de révélations. Inattendu ? Je vous entends d’ici : « hé bien, le peintre aux Tournesols, il ne biberonnait pas un peu beaucoup passionnément l’absinthe ? Á tel point qu’il y a laissé une oreille, son bon sens, et sa vie ». Oui mais non, c’est un tantinet plus compliqué que cela et un détour par le musée éclairera votre chandelle (verte).
Maître de Conférences en Biologie cellulaire à l’Université Pierre et Marie Curie, Marie-Claude Delahaye domine le sujet depuis 30 ans (en scientifique et en collectionneuse) et ouvre en 1994 à Auvers un musée dédié à la liqueur maudite. Objets, dessins de presse, tableaux, on suit l’histoire de l’absinthe, de 1805 à sa prohibition en 1915 et à travers elle, celle du XIXème, sociale, économique et artistique.
La boisson que l’on afflige de tous les maux, par la présence de la thuyone** dans sa composition, fascine et révulse à la fois ; Vie de Bohème, Montmartre, Toulouse-Lautrec, Verlaine, tous les grands poètes s’en sont largement abreuvés et l’ont élevée à un art du boire, tandis que Degas, Manet ou Picasso désignent par un cru réalisme, – relayé par les images terrifiantes de « malades » et les comptes rendus médicaux de délires caractérisés -, la déchéance, la dégénérescence, consécutives d’une absorption débridée.
Le musée dé-romantise et dé-dramatise l’absinthe en lui rendant sa vérité première (l’Artemisia absinthium est d’abord une plante médicinale aux vertus éprouvées depuis l’Antiquité). On suit au fil des salles l’élaboration du spiritueux, mélange d’alcool et de plusieurs herbes (grande absinthe, petite absinthe, anis, fenouil, hysope, badiane, mélisse…), sa conquête de l’Europe, puis en Algérie, pour conjurer malaria et dysenterie, sa démocratisation lorsque l’absinthe, moins chère alors que le vin, devient « la boisson nationale » des ouvriers. Cette coulée verte effrénée va rencontrer deux digues qui vont la stopper net ;
– les producteurs de vins, (pour qui le jus de la treille est un produit du terroir, honnête et patriote), cherchant à reconquérir un marché dévasté durant dix ans par un parasite de la vigne
– la Ligue nationale contre l’alcoolisme, s’appuyant sur des études médicales de nocivité, caractérisée par des hallucinations, délires, crises d’épilepsie, convulsions…
Or, on sait aujourd’hui que ses symptômes étaient d’avantage dus à une consommation abusive de l’absinthe (comme tout autre boisson ingurgitée sans modération), à la mauvaise qualité des alcools utilisés pour la distillation, à l’ajout de produits chimiques tels le sulfate de cuivre et le chlorure d’antimoine à la place de plantes, par des fabricants rapiats.
Avant de quitter le musée, je vous encourage à goûter l’absinthe (salon de dégustation au RDC) : le rituel de dégustation est suivi dans les règles. Fontaine Art Nouveau, cuillère ouvragée, goutte à goutte d’eau fraîche sur le sucre, précipité laiteux dans la liqueur vert pâle. C’est étonnement doux, frais, riche en parfums, sans amertume ni dominante herbacée clairement définie.
Celle qui titre à 72% est à goûter avec parcimonie, tout de même !!
* Pour Alfred Jarry, l’absinthe était « l’herbe sainte ».
** toxique à très très haute dose (mais on la consomme aussi sans le savoir dans la sauge, le vermouth, la Chartreuse et la Bénédictine…)
Informations pratiques :
Site du musée : http://www.musee-absinthe.com
Adresse du musée : 44 rue Callé – 95430 Auvers-sur-Oise
Ouvert de début mars à mi-novembre tous les samedi, dimanche et jours fériés de 11 h à 18 h.
Du 15 juin au 15 septembre, les mercredi, jeudi, vendredi de 13h 30 à 18h. (en plus du week-end).