En sortant du beffroi, nos pas nous ramènent vers la Lys et le pont Saint Michel, où nous n’étions pas seuls à mitrailler cette vue photogénique sur les trois clochers de Gant (la cathédrale, le beffroi et celui de l’église Saint-Nicolas), ainsi que le couvent des Dominicains, de l’autre côté. Certes, cette vue orne tous les guides de la ville mais lorsque les flèches gothiques pointent sur un ciel bleu acier, c’est un vrai saut dans le temps qui s’opère.
Ce décor de conte perdure dans nos prunelles lorsque l’on glisse vers la gauche, vers ces deux quais emblématiques de l’imagerie de Gand : le Graslei (quai aux Herbes) et le Korenlei (quai au Blé). Le Graslei n’est autre que l’ancien port de Gand, bordé de maisons à pignons, toutes liées au commerce du grain – les Gantois ayant obtenus des privilèges commerciaux qui assuraient la fortune et l’approvisionnement continu de la ville en céréales. Le restaurant Belga Queen a d’ailleurs investi la Maison de l’étape du blé, datée du début XIIIème, imposant grenier trapu de pierres grises. Le quai aligne des demeures de styles variés, du Roman dépouillé au Renaissance plus tarabiscoté de volutes et d’arabesques : Maison des bateliers francs (reconnaissable à la caravelle de pierre au-dessus de la porte), des mesureurs de grains, des maçons, toutes méritent qu’on s’y attarde pour détailler leur façade. Entre deux bâtiments qui portent haut la toute-puissance d’une corporation, on passerait presque à côté de la minuscule Maison de la douane qui nécessite, pour percevoir les taxes, bien moins de mètres carrés que pour entreposer du grain.
Sur la rive opposée de la Lys, le Korenlei est bordé de maisons plus tardives, baroques et classiques, témoins des évolutions de la société et de la perte des certains avantages : il faut attendre le XVIIIè pour que les bateliers non francs (comprendre non gantois) aient l’autorisation de transporter des marchandises sur la Lys et l’Escaut et s’organisent en corporation. Leur maison, rococo et coiffée d’un navire doré, n’a plus rien à voir avec la magnificence, l’opulence et le pouvoir des bateliers francs d’en face.
De ces quais qu’on ne se lasse pas d’arpenter de jour de comme nuit, partent de petites embarcations pour des promenades sur la Lys et la Lieve. Nous avons eu de la chance de tomber sur un guide jeune et plein d’humour, heureux d’expliquer l’histoire de sa ville et ses transformations. C’est à faire surtout pour appréhender Gand d’une autre manière (les points de vue à hauteur d’eau sont très différents) et visiter les quartiers Nord, anciens cloaques bordant la Lieve où l’on déversait à peu près tout et n’importe quoi, et où l’espérance de vie ne dépassait pas quarante ans au début du XXème. Les restos et bars branchés mais discrets ont remplacé les tanneries et les ateliers, les bâtiments ont été réhabilités, le coin respire un calme étonnant à quelques centaines de mètres du centre de Gand. La luminosité est magnifique tout au long de la balade, jusqu’au Rabot, ancienne écluse fortifiée qui gardait l’entrée de la ville. Une parenthèse reposante bienvenue qui n’est pas à négliger quand les mollets commencent à tirer !