Bestiaire (Η εξαίσια γυναίκα με τα ψαριά – 2014)
Nouvelles d’Andréas Mitsou
Traduction : Simone Taillefer
Éditions Monemvassia, 2018
Pas facile d’entrer dans le monde d’Andréas Mitsou. Son recueil de nouvelles s’appuie pourtant sur un thème très souvent ressassé : la perte brutale d’un être aimé, la douleur de l’absence, le vide d’une vie qui n’a désormais plus de sens. L’auteur choisit curieusement un style faussement réaliste, austère et minimaliste. Même si les personnages « tissent d’étranges liens d’identification avec les bêtes, boucs émissaires, victimes expiatoires ou reflets de leurs relations tourmentées », nulle trace de fantastique, de sensationnel, ni de surréalisme.
Les courtes histoires possèdent chacune leur épaisseur, leur force dramatique ; ramassées sur elles-mêmes, elles sont denses et fermées, comme l’esprit tourmenté d’un homme délaissé, assiégé par le désespoir. Les relations des personnages avec les animaux relèvent davantage de l’ordre du fantasme, de la construction mentale, du cauchemar les yeux grand-ouverts, que du fabuleux. Chaque narrateur, homme ou femme, est englué dans une obsession, des souvenirs, des habitudes, aussi vaines que destructrices. Étouffant dans cette prison psychologique construite pour supporter le manque ou l’indifférence de l’Autre, les héros finissent par craquer, par halluciner, par se montrer cruels ou nuisibles. Le premier se met à brouter des fleurs, le suivant fait brûler vive une tortue ; l’un pend un labrador, l’autre caquète comme une poule. Les forêts sont hantées par des créatures malveillantes ; les objets mutilent les écrivains et les poussent à se défenestrer ; les hommes faibles se prennent pour des oiseaux ou s’amourachent d’une chèvre aux yeux bleus. Mais Andréas Mitsou ne force jamais le trait, il reste factuel, modéré et sobre, transformant ainsi l’extraordinaire en ordinaire.
Les femmes sont, comme son titre original l’indiquait, le sujet principal du recueil, motifs de souvenirs indélébiles et destructeurs, ou héroïnes opiniâtres. Fatales, cruelles, intrépides et déterminées, elles inversent le rapport de domination en se jouant des hommes, sensibles et sentimentaux. Les héros de Mitsou aiment les roses, se donnent sans mesure, se sacrifient pour leur belle, pour se retrouver démunis lorsqu’ils sont plaqués sans explications. Est-ce la fin de l’amour que les hommes sont incapables de supporter, ou bien ce rejet les renvoient-ils à une peur viscérale de ne plus exister sans l’Autre ?
La question est légitime, et le recueil se referme sur des nouvelles à la tonalité très différente. Il n’est plus question de passion dévastatrice ou de vengeance implacable, mais d’angoisses qui étouffent et rendent fou : un personnage est persuadé d’entendre la voix de sa mère morte ; un autre s’imagine rétrécir et partir en épaisses vapeurs aspirées par le ciel. Le corps du dernier, qui pourrait bien être celui d’Andréas Mitsou, absorbe de l’encre tel un buvard et ressemble à un Indien paré de ses peintures de guerre, en noir et blanc. L’homme a tout perdu, jusqu’à la raison, quand l’amour s’est enfui, emportant le bonheur, le calme et la sécurité.
Dans ce Bestiaire, Andréas Mitsou dessine vingt fragments d’un parcours amoureux, passant de la passion à l’abandon, des souvenirs tenaces aux châtiments, de la peur à la folie. Parcours singulier, flirtant avec l’étrange, sans jamais se résoudre au bizarre, en équilibre précaire sur une réalité déformée par un inconscient soudain libéré… par l’écriture.