Lune de fiel au Grand Palais

 

 

La lune, du voyage réel aux voyages imaginaires

Exposition au Grand Palais

Jusqu’au 22 juillet 2019

 

 

« De l’exploration scientifique à la création artistique, l’exposition invite à une promenade à travers les œuvres d’art et les objets qui ont incarné les innombrables visions et sentiments que la lune a inspirés ». Vaste sujet que ce thème lunaire, dont on peut dire à peu près tout et n’importe quoi, de l’astrologie à l’astrophysique, en passant par les romantiques, les sorcières, les rituels chamaniques et les marées. Bref, si on ne suit aucun fil solide, si aucun présupposé n’est clairement arrêté, l’exposition risque de partir dans tous les sens, sans cohérence et donc sans intérêt.

C’est bien le piège dans lequel sont tombés les commissaires de l’exposition, commandée au départ pour commémorer les cinquante ans des premiers pas de l’homme sur la lune. Un angle scientifique aurait largement suffi pour remplir l’espace ; hélas, on a, au Grand Palais, choisi de ratisser large.

On entre par une première salle dédiée à la fois à la mission Apollo XI et aux voyages imaginaires sur la lune. Des montages photos absolument magnifiques du sol lunaire côtoient une fusée phallique rose nacré (pour la touche féministe), tandis que Méliès et Fritz Lang s’acoquinent avec une installation, « qui revendique la part que les Africains aspirent à prendre dans l’aventure spatiale » (pour la touche respect de la diversité). Qu’est-ce donc que ce bazar, qui verse en plus dans le politiquement correct à gros sabots ?

On pense retrouver un peu de logique dans la salle suivante, où l’on peut admirer les premières cartographies, passionnantes, de la lune : mais non, une autre installation conceptuelle vient brouiller le lieu. Cette coexistence systématique et artificielle des pièces « classiques » – statues, tableaux, dessins – avec des « machins » modernes peu lisibles voudrait sans doute ajouter des touches décalées et poétiques, alors qu’elle ne fait que pallier un manque évident de scénographie.

Le visiteur a rapidement l’impression que cette exposition a été montée à l’envers : les commissaires sont sans doute allés à l’aveugle pêcher de la lune au kilo, grattant les fonds de musées et remontant dans leurs filets des œuvres dépareillées : le jeu a dû consister ensuite à trouver un sens pas trop capillotracté à l’ensemble. Peine perdue. Les sept thématiques retenues sont d’ailleurs suffisamment floues pour accueillir ce qu’on a sous la main : les salles deviennent des fourre-tout, où l’on trouve sous un même intitulé un marbre antique, des calendriers, une horloge, des toiles qui malmènent la chronologie, des vidéos, des photos, des installations.

Tout cela est bien dommage car il y a de sacré belles choses, noyées dans cette confusion : on y croise deux toiles de Chagall, un très curieux tableau de Philippe de Champaigne, l’Endymion de Girodet et celui de Canova, Dürer, Manet, Moreau, Vallotton, Man Ray, Mirò ainsi qu’une série de clairs de lune marins, de la lagune de Venise aux rives du Bosphore.

Je retiendrais aussi un glaçant Soir de Waterloo du peintre Alexandre Protais, et la Jeune martyre de Paul Delaroche, chrétienne jetée au fleuve par les Romains, aux allures d’Ophélie.

Il aurait été pourtant intéressant de développer un thème effleuré à plusieurs reprises, celui du lien entre la lune et les femmes ; à la fois dans sa représentation, dans son incarnation divine, mais surtout, dans l’influence, souvent pernicieuse, qu’elle exercerait sur le sexe faible, instable et lunatique, selon une vision toute masculine datant du XVIIe, siècle où les femmes revendiquaient leur place dans les milieux politiques et intellectuels. Une eau-forte de l’époque nous montre ainsi des hommes cherchant un quart de la lune manquant dans le ciel, qui s’est en fait posé sur un groupe femmes pour les rendre inconstantes. Il y avait de quoi faire avec les sirènes, les sorcières, les wilis et les ondines, les reines de la nuit, et toutes ces déesses, Hécate, Artémis et Sémélé, figures de légendes, de rêves ou de cauchemars. On ne demandait pas la lune, en fait…

 

 

 

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