En voilà une qui n’avait sur le papier l’air de rien : un caillou aride, trois villages, une seule route, des plages peu accessibles, un vent du diable et des habitants présumés tout aussi austères que leurs collines. En ce qui nous concerne donc, une promesse de bien-être permanent. C’est peu dire que nos aspirations les plus démesurées aient été comblées au-delà du nirvana attendu. Si votre petit cœur bat la chamade au seul nom d’Amorgos*, si vous avez élu plus beau castro des Cyclades celui de Sifnos, si vous soupirez de nostalgie en feuilletant vos photos d’Ithaque, Folégandros c’est un peu beaucoup tout cela, en mieux encore. C’est avant tout une île rurale escarpée, râpée, où la main de l’homme s’échine à modeler les terres peu arables à grand renfort de murets de pierres plates et de cultures en terrasses. Pas de constructions anarchiques, de paysages altérés par du bétonnage, l’habitat se concentre en quelques points et le territoire appartient aux ânes et aux chèvres. Á perte de vue, une terre brûlée par le soleil, d’où émerge une pagaille de pierres chamboulées. Rien de gentillet, de vraiment dompté, Folégandros est rêche, rugueuse mais jamais inhospitalière.
Le Routard m’avait un tantinet refroidie en soulignant que l’île devenait courue et subissait un début de développement fracassant… est-il taquin ce Routard parfois ! Certes, quelques hôtels, plutôt haut de gamme, ont émergé à l’entrée du chora mais ça reste discret et très mesuré. Les spécificités de Folégandros l’éloignent d’un raz de marée touristique pour les simples raisons que l’île se découvre avec les pieds, et que les plages demandent de bons mollets. Peu de familles avec enfants, plutôt des quinquas en forme ou des jeunes, amateurs de marche et de calme ; les fêtards ne trouveront aucun bar branché, surtout pas en bord de mer, totalement préservé des tavernes bruyantes, des parasols et autres transats bien laids. On se lève et on se couche tôt, même quand on est grec (fermeture des tavernes à 23h fin septembre). On y croise pas mal d’Anglais, beaucoup de Français, quelques Allemands et des Nordiques. Il est bon aussi de savoir qu’à Folégandros, on a tendance à oublier fréquemment son maillot de bain (bizarre !) et à se baigner alors sans problème, en tenue d’Éve ou d’Adam. La plage la plus facilement accessible l’interdit clairement, plage d’ailleurs beaucoup plus fréquentée, surtout par les familles grecques.
Si le relief de l’île est abrupt, ses côtes le sont tout autant ; à-pics, dégringolades de rochers, découpes tranchantes, rocs acérés, anses équarries, on plaindrait presque les pirates qui ont dû avoir fort à faire pour accoster sans y laisser leur chemise. Peu s’en faut que certains endroits me renvoient illico dans le Finistère, surtout lorsque le vent siffle entre les murets de pierre et que les rafales envoient valser les flots sur les brisants. La mer Égée a soudain un petit goût d’Atlantique très inattendu…
Je voudrais pour clore ce préambule m’inscrire pleinement, totalement, entièrement en faux, contre cette réputation d’accueil supposé « frileux » des habitants de Folégandros. Les locaux que nous croiserons sur l’île, bergers, cultivateurs, éleveurs, âgés pour la plupart, ne sont pas différents des autres îliens, taiseux et impassibles. Si vous les saluez avec le sourire, si vous vous mettez un peu en retrait de leur activité, si vous prenez le temps d’apprécier leurs gestes séculaires, si vous leur demandez poliment dans un grec, même très approximatif comme le mien, de les photographier avec leurs bêtes « Με συγχωρείτε κύριε, μπορώ να σας φωτογραφίσω παρακαλώ** », vous ne devriez pas subir de rebuffades. Mais si on se comporte en touriste conquérant qui veut juste alimenter son compte Facebook…
Le soir de notre arrivée tardive à Chora, nous nous sommes retrouvés sans bagages, suite à une fâcheuse inversion de sacs*** sur le ferry (A. a pris les bagages de B., qui a pris les bagages de C., qui n’a pas pris les bagages de A.…). Notre logeuse, pourtant maman d’un bébé, l’agence de voyage locale, la compagnie de ferry, le responsable de la taverne du coin, tous se sont mis en quatre pour nous aider. Il était 22h30, nous arrivions de Paros, nous étions de parfaits inconnus et pourtant, ils ont chacun mis un terme à leur activité pour nous trouver une solution et nous éviter ainsi un aller-et-retour au Pirée. Sans leurs interventions conjointes, je doute fort que le ferry suivant nous ait rapporté notre sac, ce qui fut pourtant fait. Comme marque tangible d’hospitalité, on ne peut pas faire plus et c’est une chose qu’on oublie pas…
*Amorgos, île où ma moitié refuse catégoriquement de retourner, conséquence sans appel de la soi-disant traumatisante et éprouvante remontée pédestre de la plage d’Agia Anna, au pied de la Panagia Chozoviotissa… grincheux, va !
** j’ai bien dit approximatif…
*** ça nous apprendra à avoir tous les gros sacs Cargo Eastpak NOIRS