Blague (Αστείο – 2012)
Nouvelles de Yánnis Palavós
Traduction Michel Volkovitch
Quidam éditeur, 2020
Yánnis Palavós écrit court, très court. C’est un genre qui peut d’emblée désorienter le lecteur, attrapé et relâché toutes les trois pages, balloté d’une histoire à une autre sans mode d’emploi clairement annoncé. Des auteurs grecs que j’ai pu découvrir, il est aussi celui qui semble le plus détaché de son pays et de son histoire : contrairement à son condisciple macédonien Ilìas Papamòskhos, ses textes font abstraction des paysages du Nord et de l’atmosphère si singulière de cette région. Dépaysé, sans liens revendiqués avec sa terre natale et son histoire familiale – ou si peu –, Yánnis Palavós invente des nouvelles quasiment hors sol : que son village natal, la coopérative de pêches, la forêt, le lac voisin soient en Grèce ou ailleurs, ne changerait absolument rien à la raison d’être de ses histoires. Enfin, il fait le choix d’un style sobre, économe, avec des phrases concises, dégraissées. Des faits, des évènements, sans effets, sans état d’âme, ni beaucoup d’émotion.
La première lecture du recueil m’a ainsi déroutée, d’autant que les nouvelles nous entraînent sur des chemins rarement explorés : un petit-fils accompagne sa grand’mère dans l’autre monde avant de revenir chez les vivants, un jeune homme (Thànos !) vit sa mort, réincarné en agrafeuse, un fils attend à l’hôpital le réveil de sa mère en rêvant du moment où il a été conçu, un nouveau-né se fait dévorer par des chiens sous les yeux de sa sœur… Pourtant, j’y suis retournée, deux fois, puis trois. Sans doute parce que Yánnis Palavós nous parle de sujets dramatiques (la pauvreté, les échecs, les amours malheureuses, la violence, les abus sur mineurs, la mort) d’une façon étrange, avec un talent évident pour les chutes abruptes, claquantes, déroutantes, énigmatiques.
La majorité des personnages prennent la tangente dans une autre dimension quand il leur faut surmonter des expériences malheureuses : supporter l’insupportable, survivre au pire, est possible quand on parvient à se retrouver de l’autre côté du miroir. Même dans les nouvelles qui semblent davantage ancrées dans une réalité (souvent) triviale, l’auteur trouve un peu de bizarrerie, de dérision, de poésie soudaine inattendue. Le quotidien n’est-il pas parfois tout aussi curieux, absurde, surprenant que les rêves ?
Yánnis Palavós joue au funambule avec le réalisme magique, comme le faisait Dino Buzzati, auquel il rend hommage par l’intermédiaire d’un de ses personnages. « La réalité n’est jamais ce qu’on pourrait croire, mais elle est toujours ce qu’on aurait dû penser »* … Les personnages s’inscrivent dans le réel, sans y être totalement. Palavós ouvre ce champ des possibles d’une manière furtive et légère, sans chercher à créer une parenthèse merveilleuse trop évidente : un léger décalage suffit à ouvrir des portes sur une nouvelle potentialité.
On peut se demander si l’auteur ne permet tout simplement pas à l’inconscient de ses héros d’exister par lui-même : le mari trompé, l’amoureux éconduit, l’ouvrier agricole criminel, le chômeur angoissé, le berger pétri de remords n’ont pas forcément les armes ou les mots pour exprimer leur difficulté d’être. Sans doute trouvent-ils une échappatoire salvatrice dans ce monde alternatif.
Á moins que les frontières entre la vie/la mort, le concret/le fabuleux, le vécu/l’hallucination soient bien plus fissurées qu’il n’y paraît.
* Gaston Bachelard