« Νομίζω ότι είμαστε χαμένοι »*, la phrase du séjour ! Impossible de dire combien de fois nous avons tourné en rond, fait volte-face, ou demandé notre chemin pour tenter de nous repérer sur les petites routes. S’il faut être vraiment distrait pour se perdre sur la seule voie qui fait le tour de la péninsule, c’est tout de suite une autre histoire lorsque que l’on s’engage sur les chemins de traverse. J’avoue que mon sens de l’orientation est en coma dépassé, que pour moi, il y a la droite, et « l’autre droite », et que la beauté ensorcelante des paysages n’aide en rien la concentration sur la carte. Fort heureusement, quand les panneaux sont délavés, imprécis, ou un peu malmenés par les vents, il y a toujours une gentille mamie ou un berger tombé du ciel pour vous mettre dans la bonne direction ou vous conseiller de le suivre sur les hauteurs pour voir… Pour voir un sublime petit monastère en ruines (comme je les aime, pas trop retapé à la bétonneuse, mais en état de légère déliquescence naturelle – à l’exception de la chapelle rénovée, protection des fresques oblige), qui domine toute la baie de Kotronas, sur la côte Est. On monte d’abord par le petit village de Gonéa, construit au XVIIe par une célèbre et très ancienne famille crétoise (les Kallergis) qui fuyait les persécutions ottomanes, village aujourd’hui abandonné et désert. Le monastère Μεταμóρφωσης του Σωτήρος, construit au XIVe, est perché tout là-haut, au bout d’une route cimentée praticable, offrant une vue à couper le souffle (et aussi un très bel observatoire naturel pour scruter la mer et de possibles envahisseurs).
(ruches construites en pierres)
Le berger qui nous a ouvert la voie, une fois ses bêtes abreuvées, se posera sur un bout de muraille et n’en bougera plus, buvant du regard ce panorama exceptionnel. Le monastère a, quant à lui, un charme fou. L’ensemble des bâtiments est fortifié, ceint d’un rempart sérieux, à l’abri duquel les habitants du coin pouvaient se réfugier. L’architecture intérieure est encore bien lisible (cellules, cuisine, réfectoire…), et c’est un vrai plaisir de déambuler entre les pierres, de passer sous les ogives, de grimper les escaliers qui s’envolent aujourd’hui vers le bleu du ciel. Le point fort du monastère se trouve dans sa petite chapelle, avec des fresques bien conservées, fantasques et fantastiques aux couleurs encore claquantes (admirez…).
Toujours sur cette côte Est, deux petits villages, certes moins remarquables que Vathia, valent qu’on s’y arrête pourtant : Flomochori, et plus au Sud, Lagia. Bien dans leur jus avec leurs tours de pierres, une architecture harmonieuse et cohérente, sans doute rien de singulier, mais une belle atmosphère, et toujours ce sentiment d’être seuls au monde en ce mois de janvier quand on arpente leurs ruelles pavées.
Le paysage grandiose du Magne est aussi parsemé d’une foultitude d’églises dans les villages, mais surtout dans la campagne ; elles se cachent au creux d’un vallon, dans le repli d’une colline, derrière un renflement rocheux. Elles sont le plus souvent toutes simples, basses, trapues, solides, ornées de motifs décoratifs en briques à l’extérieur, et de fresques plus ou moins bien conservées à l’intérieur. En remontant du cap Ténaro vers Aréopolis, sur la côte Ouest donc, nous sommes tombés sur trois petites merveilles.
D’abord, Aghios Stratégos, datée du XIe, à Ano-Boularioi. Il faut partir vers la droite, commencer à grimper au-delà du village pour la découvrir lovée dans une ornière de la pente rocheuse. Les pierres plates, qui recouvrent une partie de son toit, la camouflent encore davantage des curieux, et l’agrègent parfaitement à son environnement. Elle semblerait presque minéralisée, comme encastrée dans la montagne. Même si nous avons trouvé porte close, la beauté du lieu isolé et silencieux, l’allure de cette petite chapelle un peu rabotée, suffisent à justifier une visite, surtout quand le soleil d’hiver allume le vallon et projette l’ombre mouvante des oliviers sur la pierre claire.
Un peu plus au Nord, se sont les murets et les figuiers qui cachent une autre église du XIe, Aghios Soter, à Gardenitsa. Celle-ci n’a pas du tout l’humilité de la précédente, elle pointe haut sa coupole et son clocher. Piliers de marbre extérieurs, narthex ouvert, arches soulignées de briques, murs ornementés, dessins géométriques, mille détails attirent l’œil et retiennent le visiteur qui ne cesse de tourner autour d’elle (à l’intérieur, par grand’chose à se mettre sous la dent).
Enfin, en se rapprochant d’Aréopolis, arrêt à Dryalos pour sa double-église : Aghios Georgios et Phanéroméni s’emboîtent en angle droit, se serrent bien fort pour se donner un peu d’importance, tant elles affichent des dimensions de maisons de poupées, posées sur le bord d’une petite route de campagne.
Vous en verrez beaucoup, de ces chapelles de pierres toutes simples, certaines à nef unique et sans coupole, comme un écho à l’austérité et la pauvreté de la région. Elles n’en sont que plus émouvantes.
* Je crois que nous sommes perdus.
Délicieux! J’ai adoré me perdre avec toi dans ces villages de pierre. Merci!