Le premier jour en Crète fût source de contrastes, comme un clair-obscur très prononcé, un contre-pied flagrant, où le meilleur succède au pire. Après avoir pris le pouls d’Héraklion, quel que soit le périple que l’on s’est choisi dans l’île, le passage par le site de Cnossos est quasi inéluctable. Comme beaucoup d’autres visiteurs avant nous, l’enthousiasme répondit aux abonnés absents… Lorsque l’archéologue anglais Evans le met au jour en 1900, celui-ci part du principe qu’il s’agit des ruines du palais du roi Minos et décide de le « restaurer » en partant de ce présupposé, totalement dénué de rigueur scientifique. On sait aujourd’hui, suite au déchiffrage des tablettes trouvées en ces lieux, qu’il s’agit bien plus sûrement d’un centre administratif et religieux, très loin des chimères romanesques d’Evans. Le souci, c’est que le monsieur est intervenu à grands coups de béton, aujourd’hui très abimé, et de peinturlurage, qui jure un peu beaucoup. Les plus belles pièces du « palais » sont à ce jour inaccessibles, parce que l’on restaure… les restaurations. Le rouge Ripolin des colonnes et les copies criardes des fresques donnent au site un côté frelaté du plus mauvais effet. De toutes façons, vue la fréquentation frénétique du site, même tôt le matin en juin, il est difficile de s’immerger  dans cet espace et de laisser, hélas, monter une quelconque fascination.

 

C’est en feuilletant un guide bien connu (page 204 pour l’édition 2013/2014), que nous sommes tombés sur un descriptif on ne peut plus engageant, une montée vers la Crète des montagnes, entre les villages d’Anogia et le plateau de Nida, dominé par l’imposant mont Psiloritis. C’est un peu longuet d’arriver à Anogia à partir d’Héraklion, mais les vingt kilomètres dans un paysage grandiose quasi vierge pallient de beaucoup la durée du trajet initial. Nous ne croiserons pas âme qui vive, suivant les méandres de la route qui serpente sur une terre constellée de pierres plates, parsemée d’arbustes, comme si les titans avaient fracassé au sol de colossaux rochers lors de combats légendaires. Ces pierres sont d’ailleurs utilisées pour l’élaboration des refuges de berger, ces mitata* circulaires, pour certaines toujours en service.

La route asphaltée s’arrête brutalement sur une espace de grand parking où les bergers garent leur Toyota : vous pouvez partir à pied explorer la grotte du mont Ida, lieu de naissance supposé de Zeus (mais une grotte du plateau du Lassithi brigue aussi cet honneur), tout du moins cachette dégotée par sa mère Rhéa, pour mettre le nourrisson déjà braillard hors de portée de la gloutonnerie de son père Cronos. Si les histoires de famille des Olympiens ne font vibrer aucune corde sensible chez vous, allez vider une Mythos et goûter le fromage fait sur place (il sèche sur les bords des fenêtres), dans une « taverne » aux allures de bunker, qui ne doit pas voir passer beaucoup de touristes. Ses fenêtres s’ouvrent sur une large dépression fertile, vert tendre, où paissent de nombreux troupeaux de moutons, cernée de montagnes. L’altitude atténue la chaleur, le paysage se boit des yeux, pas un bruit hormis le bêlement des animaux, on déguste le fromage de brebis encore tout laiteux pendant que le taiseux berger fait des réussites derrière nous… sans doute une version un peu d’Épinal de la Crète, mais elle est telle que je l’imaginais, très très loin du trafiqué Cnossos.

* On les appelle de deux façons : To Mitato ou O Koumos. Pour certains, l’appellation dépend de la région (mitato en Crète occidentale, koumos dans les autres montagnes) ; pour d’autres, c’est la forme du toit qui diffère, plat pour le mitato et pointu pour le koumos ; et pour d’autres encore, c’est l’usage qui les distingue : koumos pour un simple refuge et le stockage de matériel, mitato pour une fromagerie.