« Une bague triplement saturnienne »
Telle est l’indication de Jean Cocteau à Louis Cartier en 1924, lorsqu’il lui demande de réaliser selon ses indications, un bijou enlaçant trois anneaux d’or rouge, or jaune et platine.
Cocteau la portera à l’auriculaire de la main gauche, doublée d’une autre, tout en platine. Les légendes ont la vivacité tenace : tout le monde rabâche que cette bague a été conçue pour Radiguet, comme témoignage d’affection. Mais Radiguet a été emporté par la fièvre typhoïde en décembre 1923… D’autres affirment que c’est Natalie Paley qui en est la récipiendaire, au motif que les alliances rationnelles russes sont faites de trois anneaux. Mais là encore, le calendrier ne peut soutenir cette théorie. Il faut attendre le début des années 30 pour que l’écrivain et la fille du grand-duc de Russie tombent en amour.
Un membre de la maison Cartier nous a suggéré assez astucieusement que l’imaginaire créatif de Cocteau avait pu être influencé par les costumes des danseurs des Ballets Russes, robes à cerceaux, bracelets massifs aux poignets et autres anneaux aux chevilles. Quand on connaît le procédé complexe et tortueux des réalisations artistiques de l’écrivain, cette conjecture semble nettement moins fabriquée.
Ainsi, plus simplement, l’écrivain l’a conçue pour lui, même s’il n’a pas manqué par la suite de l’offrir à ses proches. L’or gris a remplacé depuis le platine, la bague « Trois ors » est rebaptisée « Trinity » depuis 1998, mais elle fait toujours partie du mythe. Pour les Parisiens, il suffit de pousser la porte du 13 rue de la Paix, pour entrer dans la légende. Même remarque que pour les grands hôtels, ces bijouteries de luxe ne proposent pas seulement des joyaux dispendieux et il n’est pas nécessaire de passer une queue-de-pie. Vous serez accueilli avec élégance, sérieux et bienveillance, même en jean. Il me semble que nous étions là encore les seuls Français à échanger avec notre « hôte » dans de jolies et discrètes alcôves, ravi de raconter l’histoire de la maison Cartier et de parler ballets des années 20.
Petite « private joke » pour l’ami Poncelet : « aimer les beaux endroits et les jolies choses n’est pas forcément signe d’affectation. Mais avec un doigt d’audace et d’assurance, on peut découvrir des atmosphères que l’on pensait bien inaccessibles à ses origines. » Fermez le ban.
PS et pas des moindres, pour quelqu’un qui se reconnaîtra… « Merci infiniment pour ce cadeau dont je rêvais depuis mes 17 ans » / with love.