Anna-Eva Bergman – Empreintes du sacré

 

Anna-Eva Bergman – Voyage vers l’intérieur

Exposition au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris

Commissaire : Hélène Leroy

Exposition prévue jusqu’au 16 juillet 2023

 

Il existe des lieux particuliers, des endroits saisissants qui chuchotent à l’Homme qu’il est en capacité de se relier avec une dimension plus spirituelle que sa seule réalité matérielle. Certains poètes, architectes, photographes ou peintres, réceptifs à la beauté, la lumière, la vibration d’un espace, sont à l’évidence des clairvoyants et des passeurs, qui restituent, en l’ayant matérialisée, cette expérience de la connexion avec plus grand que soi. Anna-Eva Bergman (Stockholm, 1909-Grasse, 1987) est de ces artistes éveillés, qui cherchent à franchir les limites de l’horizon pour tendre vers d’autres possibles.

Nouvelle rétrospective au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris consacrée à la peintre norvégienne – la précédente remontait à 1978 –, avec plus de 200 œuvres présentées, l’exposition reprend chronologiquement le parcours artistique d’Anna-Eva Bergman, à la fois chemin “professionnel” et quête existentielle. Des premiers dessins qui doivent beaucoup aux peintres admirés (Munch, Dix ou Grosz) aux dernières toiles minimalistes, du figuratif caustique des débuts à l’ascétisme définitif de la ligne pure, on suit le détachement d’une artiste qui revient communier avec son essentiel : les paysages inviolés de la Norvège, les blocs de granit posés sur la mer, les glaciers transparents, cette lumière du Nord sans équivalent, dans son alternance de nuits perpétuelles et de jours sans fin.

Née dans la première aurore du XXème siècle, Anna-Eva Bergman a sillonné l’Europe au gré de sa formation, de Vienne à Paris, de Dresde aux Baléares, où elle se pose un temps avec son mari, le peintre Hans Hartung. Une fois libérée de ce premier mariage (elle épousera Hartung une seconde fois vingt ans plus tard), elle reprend ses errances entre Berlin, Oslo, la France et l’Italie. Pour des journaux autrichiens, la presse norvégienne, mais aussi pour Vogue et Harper’s Bazaar, elle dessine, caricature, illustre les fêtes parisiennes ou de la riviera italienne, observatrice aussi de la montée du nazisme puis de l’occupation de son pays. La fin de la guerre et de ses atrocités précipite Anna-Eva Bergman dans une réflexion profonde sur son rôle d’artiste : croquer les travers du monde est une chose, trouver un sens à l’existence en est une autre.

Alors, il faut faire tabula rasa et recommencer, avec humilité. Retour aux fondamentaux avec l’étude du nombre d’or et les grands maîtres italiens, pour retrouver l’harmonie parfaite entre la lumière, la composition, la couleur. Tout en nourrissant ses recherches par l’étude des religions, l’anthropologie, la philosophie, les interrogations esthétiques, au son des Suites de Bach… Acmé de ce nouveau temps d’apprentissage, un voyage en bateau durant l’été 1950 dans le Nord de la Norvège, le Finnmark et les îles Lofoten. « Le plus merveilleux des soleils pendant toute la nuit tandis que nous glissions entre toutes les silhouettes magiques et étranges que sont les Lofoten. Une aventure d’une somptuosité incroyablement. Les montagnes semblent transparentes, plus rien n’a d’épaisseur. Tout est comme une vision d’avenir, une possibilité encore pas réalisée. Si l’on veut peindre cela il faut trouver l’expression qui suggère l’atmosphère, l’effet des couleurs. »

La peintre trouve alors le matériau-support le plus apte à traduire ce mélange de pureté et d’éclat flamboyant : la feuille de métal. Ses caricatures puis ses tentatives d’abstraction paraissent soudain anecdotiques aux côtés de ses œuvres – impossible d’employer pour elles le mot « tableaux » – imposantes, irradiantes, dont on ne comprend pas forcément la signification, mais qui impriment sur le spectateur une impression d’étrange puissance apaisante. Les feuilles d’argent frémissent dans des formes géométriques épurées, les formes s’étirent vers le haut, les sphères, lunes ou soleils, s’étalent, comme empreintes d’une énergie de dilatation. La lumière réfléchie apporte un vibrato, un frémissement doux et enveloppant, presque antalgique, planant même, comme un « support de méditation à l’intérieur d’un cadre ».

Mais rien de poli, de léché, de mièvre dans cette peinture quasi mystique et qui s’ouvre à toutes les interprétationsAnna-Eva Bergman travaille sa « pâte », crée du relief, de l’aspérité, de la profondeur, des griffures – l’artiste maîtrise aussi parfaitement toutes les techniques de la gravure, de l’estampe à la lithographie en passant par la gravure sur bois. Sa Grande Vallée, toile immense biffée de stries à l’équilibre parfait, pourrait tout aussi bien être le refuge des ailes d’un ange tombées du ciel. Et cette obsession de la barque – maintes fois représentée et stylisée – renvoie sans doute à celle du draugen, spectre d’un marin noyé qui hante la mer de Norvège à la proue de son navire, version nordique de notre Charon.

Le travail presque expérimental d’Anna-Eva Bergman requiert à la fois une extrême habileté technique et un consentement à se laisser traverser par une énergie originelle, archaïque. La peintre traduit sur la toile son extrême réceptivité aux forces des éléments bruts (la pierre, la mer, le cosmos) et sa capacité à ressentir une illumination intérieure, une ouverture, une joie profonde qu’elle sait faire resplendir et partager.

Leave Your Comment

Copyright © 2024 2024. All rights reserved.
Proudly powered by 2024. Theme 2024 made by FitWP.