La présence manifeste de la Vierge dans une ville portuaire, fameuse pour son négoce et ses richesses, peut paraître déroutante : il suffit de lever le regard pour rencontrer, dans des niches creusées en façade ou à l’encoignure de deux rues, des statues de Marie, colorées, décorées, riches d’agréments et de fioritures : socles, dais, ornements végétaux, angelots adorateurs, lanternes vitrées, le lexique du décorum semble renvoyer à l’abondance et à la folie du baroque.
C’est d’abord oublier que, dès le XIIe siècle, Anvers se met sous la protection de Marie, dont la ville fait sa Sainte patronne. Á partir du XIVe, le culte de la Madone connait un succès grandissant, qui atteint au XVIe un rayonnement considérable ; ce triomphe de la figure de Marie ne peut être réduit à une seule expression spontanée de piété. Elle fait suite au mouvement initié par la Contre-Réforme catholique visant à la glorifier, quand les protestants minimisent son rôle de médiatrice entre le Ciel et les croyants. Marie descend dans l’espace public pour triompher des réformateurs calvinistes, cimenter l’union des provinces des Pays-Bas méridionaux mais aussi souligner la toute puissance de l’autorité des Habsbourg. Elle s’assimile à l’identité de la ville, jusqu’à s’imposer sur des bâtiments laïcs, comme en 1587, lorsque la figure du héros local Brabo, vainqueur du géant Antigoon, est descendue de la façade de l’hôtel de ville, pour être remplacée par une Marie toute puissante !
La piété mariale des Anversois s’est d’abord exprimée par des processions festives, à l’occasion desquelles des représentations de la Vierge venaient orner les places, carrefours et ponts, à chacune des haltes des cortèges. Les statues publiques de rues, subsistant encore à Anvers, datent elles, du début du XVIIIe. Á partir de 1783, les mesures anti-religieuses promulguées par Joseph II*, qui souhaite soumettre l’Église à l’État, vont freiner la production de ces signes extérieurs de dévotion. Souvent vandalisées au cours du régime français, ces statues de façade furent cachées par les habitants et confréries de quartier, pour être réinstallées dès 1814.
On dénombrait encore 260 statues au cours du XIXe siècle, dont la moitié dans la vieille ville. Depuis la dernière guerre, il en reste une soixantaine, bien collectif et morceaux d’histoire.
* Celui-là même qui trouvait dans les opéras de Mozart « trop de notes » !