Impossible de faire l’impasse sur la plus grande cathédrale gothique des anciens Pays-Bas méridionaux, construite au long de quatre siècles (1124 – 1520), depuis la modeste chapelle des origines jusqu’à l’imposant édifice qui se dresse derrière la Grand’place. Si la première pierre de l’actuelle cathédrale date de 1352, cette construction d’un nouveau bâtiment se fit sur les vestiges d’une ancienne petite église romane consacrée à Notre-Dame. La cathédrale affiche une allure un peu bancale, de l’extérieur, avec une seule et unique tour Nord de 123 mètres de haut. Les plus grands architectes se sont succédés sur le chantier, rivalisant d’audace pour mener à bien ce projet de prestige et clamer ainsi la toute puissance d’Anvers : sept nefs, 125 piliers, chœur élancé, déambulatoire à cinq chapelles, la cathédrale en impose. Un peu trop pour certains, puisque le lieu a subi coups du sort et dévastations, pour à chaque fois renaître encore plus beau : incendie en 1533, « furie iconoclaste » en août 1566 (les calvinistes apprécient peu le culte des images pieuses qu’ils associent à de l’idolâtrie et dévastent sans remords la cathédrale), interdiction du culte catholique par les protestants et mise à sac de la cathédrale au début des années 1580, et enfin razzia consciencieuse des Français en 1794, au nom de l’idéal républicain. Après chaque cataclysme, les commandes affluent de nouveau, on reconstruit plus riche, on embellit, on décore et on se retrouve aujourd’hui avec un assemblage d’éléments hétéroclites remontant à des époques diverses et formant un nouvel ensemble sans discordance marquée.

 

Á la suite des dégâts majeurs opérés par les protestants, l’église catholique reprend la main et commande à Rubens cinq tableaux. Trois sont encore présents aujourd’hui, auxquels est venu s’ajouter un quatrième, transféré du Musée d’Anvers. Même sans être ordinairement transportée devant le pinceau de Rubens, j’avoue que la Descente de Croix fait son petit effet et mérite qu’on s’y arrête un long moment.

 Á quelques pas de cette saillante construction, la rue vous mène sur une petite place bien jolie, la/le (?) Hendrik Conscienceplein (Hendrik Conscience, auteur anversois du XIXe siècle), bordée du beau bâtiment de la bibliothèque municipale et de l’église Saint-Charles Borromée (Sint-Carolus-Borromeuskerk). L’imposante façade, robuste, vaste, exubérante, rappelle étonnement les églises italiennes, furieusement baroques… en s’approchant, on distingue trois étages de colonnes, des niches, des statues, de l’ornement, du tarabiscotage et un emblème familier, IHS… ah, ben oui, pas de doute, entre les deux lieux de culte, nous avons fait un petit bond dans le temps ! Qui dit IHS, dit Jésuites, donc Baroque. Nous voilà au début du XVIIe siècle, lorsque la Contre-Réforme balaie l’austérité des protestants en laissant les artistes s’en donner à cœur joie. Pas étonnant donc, qu’on ait confié à Rubens le décorum extérieur, qui doit attraper le regard des passants et les ramener dans le droit chemin. Ce goût du mouvement, de la mise en scène, du faste, de l’exubérance, on le retrouve une fois la porte poussée. Si la nef claque un peu moins qu’espéré, c’est la chapelle de la Vierge qui porte le plus haut les codes baroques : marbre blanc, dorures, plafond et peinture de Rubens toujours (une copie, en fait !), statues, autel foisonnant, l’ensemble est fort d’effets visuels, de trompe-l’œil, de contrastes, d’énergie, autant de sources d’émotion qui rappellent aux croyants la grandeur de la religion catholique. Car si les protestants tiennent à distance les images et les enjolivements, les catholiques entendent bien se servir de leur puissance évocatrice.

La nef a subi en 1718 les dégâts de la foudre, qui a réduit en cendre la voûte originelle, porteuse de trente neuf toiles de Rubens, ainsi que nombre de marbres. La chaire, les confessionnaux, les lambris sont postérieurs à ce jour funeste mais valent le coup d’œil : exaltation des valeurs de l’église dans les personnages, présence de symboles forts, compréhensibles par tous, combats dantesques entre le bien et le mal dans les compositions, la nef devient une scène de spectacle ; car contrairement aux églises gothiques conçues pour la déambulation et les processions (nefs latérales, chœur ouvert, maître-autel noble), l’église baroque oppose une nef large, dominée d’une chaire imposante, ouvragée, souvent allégorie d’un sujet biblique, pour donner toute son importance au prêche, au sermon, aux harangues, aux admonestations ! La célébration de la foi se métamorphose alors en dramaturgie…