Il devait être un moment fort du voyage, le rendez-vous incontournable, le lieu dont il fallait s’imbiber, longtemps fermé pour travaux, un must, le miel sur le yaourt, l’image certifiée conforme, emblématique de cette semaine à Chios : loupé ! Νέα Μονή, inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO, est un monastère byzantin du XIe siècle, aussi renommé qu’Οσιος Λουκας, célèbre pour ses mosaïques, son opulence, son rayonnement. Le complexe est vaste et comporte de nombreux bâtiments (église octogonale, réfectoire, chapelles, cellules), déjà replâtrés ou en cours de restauration. Car le monastère enchaîna les désastres au XIXe siècle ; les Turcs le pillèrent et le saccagèrent à deux reprises, en 1822 et 1828, et le tremblement de terre de 1881 acheva l’effondrement amorcé. Depuis, les interventions, les réparations, quand ce ne sont pas carrément des transformations, se sont succédées. Certes, les fragments importants des mosaïques sur fond d’or qui ont résisté au temps, sont absolument superbes mais les différentes rénovations successives jurent avec les murs d’origine, à vous fendre la rétine : certaines surfaces extérieures sont carrément recouvertes d’enduit blanc ! Alors, la sauce ne prend pas et on reste partagé entre la beauté intérieure du narthex et de la nef et une « remise à neuf » très discutable et trop ostensible. Il faut avouer que le week-end de Pâques n’est sans doute pas le moment opportun pour un premier tête-à-tête avec ce haut lieu du monachisme, et que la foultitude de pèlerins au fort potentiel vocal, déversée par les cars de tourisme, modifie quelque peu le ressenti d’une enclave où devaient prévaloir le silence et le recueillement.
Toutes autres furent nos impressions au tout petit Μονή Μουνδων, situé au Nord de Chios : pas sûre d’être totalement objective, cette partie de l’île étant pour nous bien plus attachante que le Sud : villages du bout du monde, côte sinueuse et escarpée, grèves malmenées, troupeaux de chèvres, sol pierreux et pauvre, genêts touffus, brouillard et… cataractes d’eau. La pluie ne fait pas semblant à Chios, elle a une petite saveur bretonne assez prononcée.
C’est en redescendant de Kambia vers Katavasi que nous sommes tombés dessus, au travers des allers et retours des essuie-glace en surrégime. Le monastère, d’époque byzantine tardive, placé sous la protection de Saint Jean le Précurseur, est aujourd’hui désert mais ses différents bâtiments sont toujours debout. Il suffit de pousser la porte pour remonter le temps : si certains toits se sont écroulés, le katholikon, le vestibule en forme de dôme, les cellules, bien qu’endormis, sont facilement identifiables. Pas un bruit, autre que les gouttes martelant la pierre et les feuilles, dans une nature qui a repris ses droits ; on buissonne doucement, pour ne pas troubler la quiétude de l’endroit, on chuchote, on s’imprègne, on ne serait pas étonné d’accrocher du regard un pan de soutane sombre et furtive au coin d’un édifice, comme si ce monastère avait sa propre alchimie et quelques secrets bien gardés. On referme doucement la porte derrière nous, vaguement confus d’avoir laissé nos empreintes de mortels sur le sol détrempé, dans un lieu hors du temps.