Cela devait bien arriver un jour ou l’autre, une première déconvenue, un léger désenchantement, un petit dépit, un rendez-vous manqué, un tête-à-tête ajourné, bref, une non-rencontre avec une île grecque. Si, c’est possible. Et avec une Ionienne, en plus, ce qui nous a bigrement tourneboulés, ma moitié vouant un culte incommensurable à Céphalonie, ma pomme contemplant Ithaque avec les yeux d’Ulysse.
Corfou pâtit lourdement des symptômes déjà observés en Crête, le bétonnage, le tourisme bas de gamme, le non-respect de l’environnement, le laisser-aller ; elle donne la sensation d’une île sur son déclin, qui ne peut plus entretenir son rang et qui mise désormais sur le vol incessant des charters venus d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie pour survivre : hôtels low cost déjà défraîchis, villages de vacances sinistres, infrastructures vilaines, plages jonchées de détritus, nombre d’endroits transpirent la fin de règne. On enrage d’autant plus que la côte Nord recèle quelques sites de toute beauté, qui auraient dû être laissés à l’état sauvage et non transformés en protectorats de buveurs de bière.
Autre source de déception pour une île qui est passée entre tant de mains (Rome, Byzance, Venise, Maison d’Anjou-Sicile, Venise à nouveau, les Français, les Britanniques…), l’absence quasi-totale (à l’exception de Corfou ville, j’y reviendrai longuement dans d’autres posts) de vestiges, de sites archéologiques, de monastères, de chapelles, de fresques, de tout ce qui donne à une île sa tonalité particulière. On cherche fébrilement un village typé, singulier (après Tinos et Chios, la barre est très haute, mais tout de même…), on veut respirer une atmosphère originale, unique, distincte des autres îles et … ça ne vient pas, l’insatisfaction s’installe.
Alors, faut-il bouder Corfou ? Eh bien non, malgré toutes ces réserves, l’île nécessite une visite pour son « chef-lieu », sa « capitale », Corfou-ville étant pour moi un joyau incomparable. Nous sommes tombés sous le charme immédiat de sa saveur italienne, de ses couleurs, de son dédale de ruelles, de sa richesse culturelle, de sa gastronomie. On flâne des heures entières, le nez en l’air pour capter les détails d’une architecture superbe, où chaque « prédateur » a laissé sa marque. Alors que nous devions loger au Nord, après les deux premiers jours passés à l’arpenter en tous sens, nous y sommes revenus à fond de train, tant elle a su nous ravir par sa simplicité, son naturel, sa sincérité.
Je crois qu’il s’agit, en quinze ans de Grèce, du premier voyage qui ne se déroule pas du tout comme nous l’avions prévu. En neuf jours nous avons fait et défait quatorze fois nos sacs et mangé du kilomètre : pas de vrais coups de cœur, d’innombrables atermoiements sur nos lieux de chute, une météo capricieuse, comme si l’île devenait un brin revêche, voire hostile. Nous avons alors écourté notre séjour et rappliqué plus tôt que prévu à Athènes, sous un franc soleil qui nous a redonné la pêche et le sourire.
Quand ça ne veut pas, c’est que cela ne devait pas… on aura plus de chance en septembre, du moins je l’espère !