Impossible de s’imaginer en Grèce lorsque l’on musarde dans les venelles étroites de la vieille ville de Corfou, coincée entre deux forteresses et la mer. Ses façades jaunes et ocres, ses petites piazzetta, le linge tendu au travers des ruelles, les balcons, les arcades, les loggia sentent d’avantage le basilic que l’origan : quatre siècles de présence vénitienne (1387-1797), ça laisse de sérieuses empreintes. Le tremblement de terre de 1953, qui mit en vrac les autres îles ioniennes, épargna Corfou. On s’en réjouit car la cité historique porte toujours, outre les griffes du lion de la Sérénissime, le souvenir – plus discret – de ses autres conquérants européens.

 

Sur la Spaniada, vaste esplanade arborée qui s’étale derrière la vieille forteresse, se côtoient des édifices aux origines variées : jet d’eau vénitien, rotonde anglaise, monument du rattachement de l’Heptanèse* à la Grèce et le Liston français. Le Liston rappellera aux Parisiens les bâtiments, les arcades et les lanternes de la rue de Rivoli, percée en France dix ans plus tôt (1801)**. Les Britanniques laisseront à leur tour sur la Spaniada, le palais à colonnades de Saint-Michel et Saint-Georges, ou Palais Royal, d’abord résidence des Hauts-Commissaires anglais avant d’abriter le Sénat des îles ioniennes.

L’ancienne citadelle, construite à l’extrémité de la péninsule fortifiée, qui s’avance dans la mer comme un navire, est réellement impressionnante. Elle est lourde, massive, construite à partir d’une première muraille de l’époque byzantine, jusqu’à devenir une forteresse au XVIe siècle, lorsque les Vénitiens sentirent la menace ottomane approcher : douves, tours, ligne de défense, remparts, mouillage pour les galions, caserne, bastion, on comprend mieux l’invulnérabilité de la ville sur une si longue période. Les Anglais continueront d’y apporter leur touche au XIXe, jusqu’à cette incongrue église néoclassique, en 1840, qui jure dans cette atmosphère de génie militaire. Mise à part la vue sur la mer, pas grand-chose à se mettre sous la dent à l’intérieur ; si l’architecture défensive vous laisse de marbre, regardez-là de loin. Á l’opposé, la nouvelle forteresse (fin XVIe, début XVIIe, le terme « nouveau » est bien relatif) est tout aussi vide et encore plus mastoc : on peut faire l’impasse !

C’est dans la rue que le charme opère surtout, du vieux quartier du Campiello, avec ses petites places, les fontaines, les cours dérobées, jusqu’à la place de l’Hôtel de ville (d’abord « loges » des aristocrates de la ville, puis opéra). Déambulez dans les très étroites venelles perpendiculaires aux ruelles touristiques, posez-vous dans ces petits cafés qui dévalent les escaliers, humez l’air du temps place Kremasti, sirotez un Spritz (plus couleur locale que l’ouzo, en fait) place Aghios Spyridonas, avant d’entrer dans l’église du même nom : clocher imposant, iconostase de marbre et non de bois, influence italienne évidente dans les peintures, ossements du Saint dans un somptueux reliquaire en argent, présence de nombreux croyants grecs et russes, elle est considérée comme la plus belle des trente-neuf que compte la ville. C’est son plafond peint et doré, ultra-chargé qui surtout attire l’œil. Datée de la fin XVIe, elle est dédiée au protecteur de la ville Spyridon, évêque de Chypre, qui aurait tenu à bonne distance des remparts de la ville, la peste, les Turcs et la famine, rien que ça !

 

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* Heptanèse (les 7 νησιά/îles de la mer Ioniennes : Corfou, Paxos, Leucade, Céphalonie, Ithaque, Zante et à l’époque Cythère), tombées sous la domination de Venise, puis de la France, ensuite des Britanniques, avant d’être cédées à la Grèce en 1864, à la signature du Traité de Londres.

** Bourde dans le guide Toubis, qui crédite l’ingénieur Ferdinand de Lesseps, né en 1805, des plans du Liston…il s’agit plutôt de Matthieu de Lesseps, le père, commissaire impérial de Corfou entre 1810 et 1814.