Craig Johnson – Wyoming Western

 

Little Bird (The Cold Dish – 2005)

Le Camps des morts (Death Without Company – 2006)

Deux romans de Craig Johnson

Traduction Sophie Aslanides

Éditions Gallmeister

 

J’ai de nouveau du retard à l’allumage avec une série amorcée il y a quinze ans, plébiscitée par une foultitude de lecteurs, et adaptée pour le petit écran. J’étais totalement passée à côté des enquêtes de Walt Longmire, shérif quinquagénaire de Durant, bourgade du Wyoming, située au pied des Big Horn Mountains. La vie s’écoule paisiblement dans ces grands espaces nappés de brouillard, entre les parties de pêche, les virées dans les montagnes et la chasse aux perdrix, sous le regard des Cheyennes, des Crows, des Shoshones et des Arapahos de la Réserve indienne. Les râteliers des 4×4 croulent sous les armes, la bière coule à flots, le blizzard s’invite chaque hiver dans cet Ouest rude qui sommeille doucement, on en oublierait presque que nous sommes au XXIème siècle.

Mais au moment où le shérif Walt Longmire pense passer la main à son adjointe, le crime, rarissime dans ce comté reculé, vient bousculer ses après-midis passés à contempler, de son fauteuil, le vol des oies sauvages. Ce ne sont pas les intrigues – dans le premier volume, l’assassinat d’un jeune homme trop légèrement condamné dans le viol collectif d’une adolescente indienne, dans le second, la mort douteuse d’une septuagénaire du Foyer des Personnes dépendantes –, qui donnent aux romans leur épaisseur : Craig Johnson garde à distance les suspenses haletants, les fausses pistes, les descriptions sordides de cadavres, les atmosphères étouffantes, pour privilégier la lenteur, la sensibilité, le détail, le cadre naturel, les rapports humains et les traditions de tous ceux qui peuplent ce coin reculé, des Indiens aux Basques (Durant abrite un inattendu Euskadi Hôtel, fruit de l’immigration basque dans l’Ouest dans le seconde moitié du XIXe).

Pas de serial killer tordu ou de pervers sadique, mais pas de vrais héros non plus. Tous les personnages évoluent comme ils le peuvent, avec leur éducation, leur histoire, leurs blessures, leurs contradictions, leurs faiblesses. Le shérif Longmire ne ressemble d’ailleurs pas aux flics cassés, alcooliques ou mentalement perturbés, très à la mode dans le polar : il a certes perdu son épouse, et passe une bonne partie de ses soirées devant l’écran neigeux de sa télé mal branchée, mais il refuse de se laisser engloutir par le chagrin ; vétéran du Vietnam un peu usé, il s’emploie à prendre soin des habitants de son comté avec justice et humanité. Homme droit dans ses bottes, le flingue à la ceinture et le chapeau de cowboy vissé sur la tête, il est un personnage attachant, car un peu décalé par rapport à son statut, inapte à la technologie – à l’heure du téléphone portable, il préfère les post-it – et étonnement timide avec la gente féminine.

Il faut dire que Walt Longmire est entouré de femmes (sa fille, son adjointe, la secrétaire du poste de Police, la tenancière du petit resto de la ville) au caractère bien trempé, promptes à la répartie et qui ne s’en laissent pas compter. Tous les personnages possèdent en fait un humour caustique et une bonne dose d’auto-dérision, qui tiennent à distance l’apitoiement et l’auto-satisfaction. Le shérif est toujours en relation avec son prédécesseur et mentor, ancien pilote de l’armée de l’Air passé par les geôles japonaises, une jambe arrachée dans un attentat, connu pour son goût des échecs et sa férocité à faire respecter la loi. Ce vieil homme mordant et direct a gardé un esprit affûté et partage avec son successeur au poste une rigoureuse exigence de vérité.

Le shérif peut aussi compter sur le soutien indéfectible de son ami d’enfance, l’Indien Henry Standing Bear, surnommé la “Nation Cheyenne”, lecteur de Steinbeck, passé par Berkeley et ancien activiste de la cause indienne, revenu dans le comté d’Absaroka tenir le « Red Pony », bar local pour chasseurs et esseulées en mal de réconfort. Taiseux, pince-sans-rire, le grand colosse aux cheveux noirs sert de lien entre la Réserve et le monde des Blancs, gardant chacun sous son regard pour garantir la sérénité dans les deux communautés. Henry Standing Bear est aussi un passeur silencieux, qui met une arme sacrée ornée d’un motif sioux de plumes et de perles entre les mains de Walt Longmire.  Craig Johnson ne s’appesantit pas sur cette Carabine des Morts qui ouvre pourtant au shérif un contact avec le chamanisme indien : lorsque sa vie est en danger, les esprits des Vieux Cheyennes se rassemblent pour lui venir en aide, à grands renforts de tambours, de carillons, et de chants. Simple hallucination, ou soutien des esprits des anciens guerriers, au lecteur de trancher.

Cette série, qui semble ne pas vouloir faire de bruit et qui nous raconte la petite vie d’une bourgade du Wyoming, mérite son excellente réputation : elle est en fait un hymne à la nature sauvage et redoutable, et un vibrant hommage aux premiers habitants de l’Ouest et à leurs pratiques ancestrales.

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