L’un des nombreux avantages à arpenter la Grèce hors saison, est de pouvoir partir mains dans les poches, le nez au vent et vous arrêter là où le coup de cœur vous tombe dessus. Et pour nous, ce fût le petit village d’Avlemonas, tout au bout d’une route qui trace jusqu’à la pointe Est de l’île. Considéré comme l’un des plus jolis endroits de Cythère, je certifie que cette réputation n’est en rien usurpée. La beauté du site, dans une région restée vierge de toute construction, est tellement manifeste, tellement perceptible, qu’on ne peut s’en extraire.
Posé au bord d’une petite calanque, dont les eaux hésitent entre le bleu céruléen et le vert translucide, le village semble transporté des Cyclades, avec ses maisons cubiques blanches aux volets bleus, bien fleuries. Mais, avec modestie, sans se hausser du col. Car les habitants ont compris qu’il ne servait à rien de multiplier les habitations qui restent fermées neuf mois sur douze, d’aligner bars et boutiques pour touristes, de défigurer l’âme d’un village pour vendre la leur. Avlemonas est resté dans son jus, minuscule village de pêcheurs, simple et vrai. Alors, pas d’hôtel évidemment, juste quelques chambres à louer, trois tavernes, deux cafés, une épicerie, rien de plus. Encore moins au mois de mai d’ailleurs, puisque une seule taverne et le café tout proche nourrissent alors les locaux et les quatre touristes venus s’échouer ici. C’est d’ailleurs au-dessus du café Mpotzio, que nous avons eu le privilège de nous poser, dans un appartement avec terrasse, à la vue imprenable, directement sur la calanque. Les habitants du village, comme la famille Mpotzio, n’ont rien de ces Grecs volubiles, démonstratifs, aux capacités vocales impressionnantes : ils parlent peu, lentement, doucement, vous évaluent les yeux mi-clos et à force de vous croiser au retour des bateaux de pêche, à la taverne, lors des promenades vespérales, ils vous acceptent bien volontiers dans la vie locale.
On arrive à Avlemonas en longeant la belle et longue plage de Paleopoli (déserte en ce mois de mai, en raison d’un vent tenace et froid), puis les rochers battus par la mer qui délimitent parfois de petits lacs intérieurs formant de minuscules marais salants naturels. Selon les guides, Cythère possèderait bon nombre de marais salants de poche, donnant un sel rare mais savoureux. Ensuite, sur la lande arasée par les rafales, se dressent les ruines d’une forteresse vénitienne, le Kastelo, datant du XVIe siècle, poste avancé qui gardait un œil sur la mer Égée mais aussi défense hérissée de canons contre les incursions de pirates.
De là, on suit un chemin côtier qui longe le rivage très découpé, jusqu’au mouillage des embarcations des pêcheurs, Agios Nikolaos, port principal de l’île durant toute l’occupation de la Sérénissime. Au-dessus de cette anse bien protégée, se dresse toujours un vardiola en bon état, ancien observatoire ou poste de garde planté sur un écueil, aux allures de petite chapelle. Les Vénitiens l’utilisaient à des fins de communication, en combinaison avec tous les autres situés sur les sommets des montagnes.
Enfin, tout au fond de la baie, se dresse l’impressionnant manoir d’Angelo Cavallini, un riche italien de Gênes. Le bâtiment qu’il fit construire en 1827 devint ensuite l’ambassade austro-hongroise, un poste de douanes, puis un simple café de village. C’est un descendant actuel de la famille Cavallini qui l’a racheté et restauré.
C »est aussi au large d’Avlemonas que sombra en 1802 le Mentor, navire de Lord Elgin, avec à son bord 17 caisses en bois contenant les sculptures du Parthénon et autres antiquités provenant du Rocher Sacré. Sur le chemin de l’Angleterre, le navire essuie une terrible tempête et le capitaine décide de trouver un mouillage sûr à Cythère. Ce port n’est pas choisi par hasard, puisque l’île est alors sous domination anglaise, personne ne posera donc de question concernant la cargaison « sensible ». Le 17 septembre, le Mentor heurte les rochers et coule par 22m de profondeur. Immédiatement après le naufrage, Lord Elgin organise le sauvetage de la cargaison, qu’il décrit lui-même dans une lettre à l’intention du vice-consul de Grande-Bretagne à Cythère, comme «… quelques pierres sans valeur…». Des pêcheurs d’éponges de Symi sont réquisitionnés ; il leur faudra deux ans pour récupérer l’intégralité du butin, après avoir cassé une partie de la coque afin d’accéder à la cale.
Ce petit village d’Avlemonas et sa poignée d’habitants vivent à la fois dans un lieu chargé d’histoire mais aussi au creux d’une nature sauvage et indomptée. Si par beau temps c’est un délice de rêvasser au bord d’une mer limpide qui a sculpté un littoral de dentelle, c’est une tout autre atmosphère quand Poséidon se fâche et envoie tout valser. La tempête de printemps que nous avons essuyée n’a rien à envier aux coups de vent bretons. En l’espace de quelques heures, le brouillard, la pluie, les bourrasques, les vagues ont régné en maître, nous ramenant avec force à notre petite condition de mortels. Cette leçon d’humilité explique aussi sans doute la modestie et la réserve des habitants taiseux, coutumiers de ces démonstrations d’éléments qui nous dépassent.
Avlemonas pratique :
– La location de voiture est impérative. Trois, quatre loueurs se partagent le marché. Bonne expérience chez Cerigo Car (Cerigo est le nom vénitien de Cythère) ; 175 euros pour huit jours de location d’une petite Hyundai et aucune remarque sur les éraflures de bas de caisse glanées sur les routes non asphaltées. Sympa et très cool.
– Mpotzio, café et loueur de notre petit nid idéalement placé. Une famille délicieuse, qui, en fonction de la météo du jour, vous conseille sur les lieux à visiter. Pour les soirs d’appétit léger, la maman d’Alexis prépare des assiettes de Pikilia végétariennes succulentes. La terrasse au bord de l’eau est très calme les soirs de mai, vous êtes seuls au monde !
– Taverne Sotiris, voisine du café Mpotzio – reconnue comme la meilleure taverne de poissons de l’île ; pêche du jour, langoustes grillées, pâtes au homard et certainement LA soupe de poissons la plus goûteuse jamais dégustée.
Et enfin, la compagne de ces vacances, surnommée Grisounette… admirez les yeux soulignés de Khôl…
Pour un coup de coeur, c’est un coup de coeur. Je vois que comme Lacarrière, tu as découvert l’origine du mot laconique… Rien de tel qu’un séjour à Cythère pour se persuader que les Laconiens, sont bien… laconiques ! Quant à cette petite chatte, on pourrait croire la petite soeur de ma paparazza ! (jette un oeil : http://mesinstantanes.blogspot.gr/2013/02/photo-de-la-semaine-61.html)