Mitata – Potamos – Mylopotamos
Contrairement aux îles enlaidies par le béton, Cythère garde, sagement indemnes de nouvelles constructions modernes, ses villages séculaires ; on retape, on préserve, on embellit, on agrémente. Les petites routes sont parsemées de ces hameaux au naturel, où les horloges ne sont pas pressées d’avancer, toujours rythmées par un tempo bien lent. L’île est biffée d’une route Nord-Sud, coupée à angle droit en son milieu par une deuxième, qui part à l’Est vers le port de Diakofti. Ces deux routes très empruntées, très dégradées ne permettent pas de prendre le pouls de Cythère ; préférez nettement les voies secondaires, moins abîmées de fait, qui serpentent entre les genêts, les champs et les oliviers, pour partir à la découverte des villages. Détail qui n’en est pas un, les panneaux de signalisation sont dans un état de délabrement rarement vu ailleurs, une bonne carte s’impose donc.
Au Sud de l’île, prenez le temps de vous perdre dans deux grappes de lieux-dits, posées des deux côtés de la route principale : rien d’architecturalement renversant certes, mais on roule à vingt à l’heure entre de vieilles fermes imposantes, on découvre des chapelles cachées, des moulins endormis, des ruines vénitiennes et des demeures néo-classiques aux balcons ouvragés, aux entrées voûtées et on s’arrête souvent pour laisser les troupeaux de chèvres et de moutons changer de prés.
Cette campagne sèche, pauvre, silencieuse, austère, laisse la place en remontant vers le Nord à une végétation de plus en plus luxuriante, le relief se modifiant rapidement : la couleur passe du jaune au vert, le paysage bien lisse se hérisse de gorges, d’à-pics, d’où ruissellent d’importantes cascades. Le village de Mitata, construit au bord d’un plateau, avec à ses pieds une vallée émeraude, est couvert de jardins échelonnés le long des pentes, arrosés naturellement par les nombreuses sources. Ce nom de Mitata vient de το Μιτάτο, qui désigne le lieu où le berger transformait le lait en fromage, construction de pierres que l’on peut toujours rencontrer sur les plateaux crétois. Ce village très boisé, entouré de ravines, est aussi le plus vieux de l’île, déjà mentionné au xiie siècle. Ces vastes maisons anciennes sont construites selon le même plan, entourées d’un mur extérieur, agrémentées de petites cours fleuries comme des patios : stockage de vivres et de bois au rez-de-chaussée, four extérieur, habitation à l’étage pour les plus belles. Le village entretient ces vieilles bâtisses, les repeint de couleurs chaudes, les transforme en chambres d’hôtes pour les faire revivre. Rien de factice toutefois, le village baigne toujours dans son jus.
Ces sources abondantes ont donné son nom au plus grand village du Nord, Potamos, carrefour économique et commercial de 350 habitants – la mégalopole de Cythère en quelque sorte ! On y vient le dimanche matin, d’abord pour le marché où se retrouvent les producteurs de l’île (fruits et légumes, miel et fromages) et surtout pour se raconter les dernières nouvelles – et cela prend du temps ! La grand’place du village se partage entre les étals et les terrasses de café qui débordent, accueillant les familles au sens large, les bandes de quadras pipelettes, les papous qui s’écharpent en parlant politique, les yiayias qui potinent ; frappés, ouzo, mezzés, bières, le ballet des serveuses est spectaculaire. Le contraste est vraiment impressionnant entre le niveau sonore dominical et la quiétude du reste de la semaine où il est agréable de se balader dans des rues moins fréquentées ; avec ses belles maisons, ses jolies devantures, ses excellentes pâtisseries et fromageries, Potamos marie une vie de village dynamique avec une forte identité et une tradition de franc-tireur : à l’époque vénitienne, Potamos déjà oppose ses idées « libérales » à l’ordre établi des aristocrates italiens, qui vivent plus au Sud, à Chora. Potamos fut d’ailleurs le berceau du Commandant Panos Koronaios, héros de la lutte pour l’indépendance de la Crète en 1886, et dont la statue orne la place centrale. Le village fut ensuite le siège de l’administration pendant une brève période, en 1917, lorsque, pro-Venizelos, Cythère se déclare « région autonome ». Pendant la 2ème Guerre mondiale, c’est Potamos qui abritera évidemment le QG des résistants, invariablement hostile à tous les envahisseurs. *
Troisième incontournable village, l’adorable Mylopotamos, qui ouvre la porte des ruines de Kato Chora : une seule rue où s’échelonnent trois boutiques, une taverne succulente blottie sous des platanes, et le clocher d’Agios Sostis qui égrène les heures. Se développent rapidement une langueur, des gestes au ralenti, une propension à l’indolence dont on a bien du mal à s’extirper. Juste au-dessous de la place, une sorte d’écluse transforme la rivière en retenue d’eau, où les femmes du village lavaient jadis leur linge. Lorsque les pluies d’hiver ont été abondantes évidemment, car cette année, les canards pataugeaient dans trente centimètres d’eau, un peu saumâtre. Pour la même raison, impossible d’apprécier les chutes d’eau et les moulins qui parsèment le coin. Toutefois, ce petit patelin silencieux, lové à l’entrée d’un site de toute beauté, est une halte obligée de la Cythère intacte, immuable, tranquille et hospitalière.
* Potamos possède aussi une très chouette librairie (et une charmante libraire), après le marchand de fromages en montant… nous y avons déniché au rayon scolaire, une histoire de la mythologie grecque en bandes dessinées truculente.