Mais pourquoi si peu de Français à Lesbos* ? C’est une question que nous nous poserons durant tout le voyage (11 jours au total), tant l’île semble boudée de nos compatriotes. D’accord, elle n’a pas le charme carte-postaleux des Cyclades, elle est un peu excentrée à 11 heures de ferry, on ne sait pas très bien par quel côté l’aborder, vu sa forme bizarre, mais croyez-moi, qu’elle est attachante !
On va tout de suite préluder en cassant le mythe qui tourne au fantasme chez certains. Non, Lesbos n’est pas la réplique au féminin de Mykonos. Nous ne croiserons pas plus de lesbiennes se voulant visibles, qu’ailleurs. Certes, la ville natale de Sappho (Skala Eressou) accueille en septembre un festival pour les filles (et alors ?), mais l’île ne se transforme pas pour autant en boîte de nuit géante, façon Ibiza, proscrivant les garçons. Le tourisme est familial, discret, écologique (oui, j’y reviendrai), assez peu développé d’ailleurs, car la belle est un tantinet fauchée du côté plages. Mais il faut avouer qu’elle se rattrape par la diversité de ses paysages : plaines couvertes d’oliviers, forêts de grands pins, maquis de résineux, collines pierreuses, platanes protecteurs au-dessus des ruisseaux, il y en a pour tous les appétits. Sommairement, l’Ouest volcanique est sec, l’Est ressemble aux Ioniennes, et le Sud, creusé de deux golfes bordés de marais salants et de réserves d’oiseaux, offre un panorama très serein et doux. Cette grande île bien arrosée en hiver (les toits d’épaisses tuiles rouges l’attestent) déborde d’eau en mai et se farde d’un vert presque irlandais.
Á l’écart donc des circuits touristiques classiques, l’île a préservé une importante activité rurale : au bestiaire familier des îles (des chats, des chèvres, des moutons), on ajoute vaches et chevaux. Cette omniprésence de bien belles montures dans les près, très éloignées des percherons ou des simples canassons, est restée pour nous un mystère. Si l’élevage et la production d’huile d’olive sont toujours dominants, l’île garde les souvenirs de son passé industriel florissant (distilleries d’ouzo, savonneries, huileries) dans presque chaque village : usines désaffectées, matériel à l’abandon, bâtiments oubliés. Lorsqu’une nouvelle usine est construite, on garde néanmoins les ruines de la précédente à côté. Ce paysage parsemé de cheminées éteintes et de bâtiments de briques qui font doucement naufrage n’a rien de déprimant, juste un témoignage d’une certaine époque de l’île.
Quels moments forts retenir de Lesbos au printemps ?
Le village de Molyvos, la ville de Plomari, l’église de Mégalochori, l’Agios Nikolaos de Petra, le monastère d’Ypsilou, la route de montagne reliant Antissa à Sigri, le vieux bain thermal de Paralia Thermis, les petits villages colorés de jaune, de rose et de bleu qui dévalent les collines, la plage d’Agios Isidoros déserte, les béliers à cornes torsadées, les calmars de Melinda, les baklavas de la maman de Dimitri…
Et puis, il faut aussi parler d’autre chose. Si vous passez un peu de temps sur la côte Est de l’île, de Molyvos à Mytilène, vous croiserez beaucoup de migrants. Ils arrivent la nuit par bateaux, venus de la Turquie toute proche. Ils sont nombreux. Les femmes du petit port de Molyvos, où certains sont « en attente », accueillent avec bonté et calme ces familles : eau, nourriture, vêtements, aide médicale, les Grecs donnent. L’Europe regarde ailleurs en laissant un pays déjà exsangue par la crise économique, se débrouiller tout seul. Ces migrants ne restent pas à Lesbos et remontent vers le Nord. Je doute fort que la suite de leur voyage rencontre cette même générosité désintéressée.
* Lesbos, petit-fils d’Éole. On l’appelle aussi Mytilène, du nom de sa capitale