L’île d’Hydra n’a pas nécessairement bonne presse chez les fervents amoureux de la Grèce : trop touristique, trop clinquante, trop riche, trop… tout. Je m’attendais moi aussi à railler cette île, à pester devant ses airs bohème-chic, à vouer aux gémonies ses boutiques de luxe, ses taxi-boats hors de prix, son port défiguré par un alignement de cafés branchés. Là où je redoutais un ersatz de Mykonos ou de Santorin – les deux plaies de la Grèce du XXIe siècle -, j’ai ouvert des yeux émerveillés sur un lieu de toute beauté, loin d’être pourri par le tourisme de masse… passé le quinze octobre, c’est un fait. En saison, la perception du lieu doit être tout autre, j’en conviens. Mais à l’automne, lorsque Hydra baigne de nouveau dans la quiétude, le port et la ville haute retrouvent un vrai visage grec. Et il faudrait être sacrément rabat-joie pour ne pas succomber à son charme envoûtant et unique.
Car l’île joue sur deux tableaux : tout d’abord son port saisissant, bordé de hautes maisons d’armateurs qui dégringolent en amphithéâtre, témoins de l’hégémonie maritime d’Hydra, et en second temps, une ville haute moins spectaculaire certes, mais qui a gardé tout son jus, tout son suc. Pas de bétonnage, pas de voitures, des volées d’escaliers et des ruelles étroites, des murs chaulés et des volets colorés, des placettes croquignolettes et des habitants sympas.
Comme sa voisine Poros, Hydra subit, durant le période franque, des raides incessants de pirates qui obligèrent les habitants à décamper vers le Péloponnèse. Et comme elle, ce sont des Arvanites, ces Albanais orthodoxes fuyant les persécutions ottomanes, qui repeuplèrent Hydra à la fin du XVe siècle. L’île fait peu parler d’elle pendant deux siècles, ses maigres ressources et sa situation géographique sans intérêt la tenant éloignée de l’oppression turque. La richesse d’Hydra viendra de la mer. Comme Poros et Spetses, l’île se dote très tôt d’une bonne flotte commerciale qui sillonne la mer Égée. Mais là où les autres îles grecques se limitent à des bateaux de faible tonnage, Hydra voit plus loin en misant la première sur de grands navires : en 1757, elle met à l’eau un navire de 250 tonneaux. Sa fortune est en marche. Á la fin du XVIIIe, Hydra est devenue une puissance navale et commerciale avec une flotte de cent cinquante navires marchands.
Mais les prétentions d’Hydra se heurtent à de lourdes taxes et au monopole de certaines routes maritimes, réservées aux bateaux ottomans. Il faut attendre la fin de la guerre russo-turque (1774) pour que les Russes obtiennent un droit de protection des orthodoxes vivant au sein de l’empire ottoman, permettant aux navires grecs de battre pavillon russe et de circuler librement de l’Italie à la Russie, en passant par la mer Noire. Les moyens financiers des armateurs, les aptitudes des capitaines et des marins, l’excellence de l’école navale et la suprématie des navires marchands établissent la domination de la flotte d’Hydra.
Á l’instar des autres îles Saroniques, Hydra joua un rôle majeur lors de la guerre d’indépendance : les marins de Poros embarquèrent sur les puissants navires armés par les grandes familles d’Hydra et commandés par ses amiraux. Á l’heure de la redistribution des cartes, le devoir patriotique n’était pas le seul moteur à cette entrée dans le conflit… certains clans rêvaient surtout de jouer un rôle politique majeur dans le tout jeune État grec. Les relations entre les insulaires et le nouveau gouvernement tournèrent vite au vinaigre, jusqu’à la destruction volontairement d’une partie de la flotte : plutôt le sabordage que de confier les navires à Kapodistrias, le jeune gouverneur trop russophile aux yeux des Hydriotes.
Le monde changeait rapidement et Hydra manqua la modernisation de ses navires avec l’arrivée de la machine à vapeur, perdit sa prééminence et se rendormit, jusqu’à ce qu’une poignée d’artistes ne tombent sous son charme et la mettent à la mode.
Hydra et Spetses devraient se ressembler et pourtant, il n’en est rien : dans les deux cas, la mer a considérablement rempli les poches des armateurs et des officiers, l’architecture des ports gardent les empreintes de cette splendeur d’un autre temps, et pourtant, les deux îles diffusent des ambiances en totale contradiction : Spetses s’est refermée, s’est emmurée dans le silence et la superbe hautaine, tandis qu’Hydra se vautre dans la nonchalance. Cette dernière accueille certes des habitants étrangers fortunés, mais tous adoptent un style de vie simple et décontracté. Cette légèreté, cette insouciance sont palpables quand on pose le pied sur l’île. « Vivre et laissez vivre » pourrait être la devise d’Hydra.
C’est vrai que l’histoire d’Hydra est étonnante. J’aime bien tes photos et suis contente de voir que tu as su trouver l’essence même de cette île que j’affectionne tout particulièrement.