Depuis 2003, Athènes a toujours été la porte d’entrée de nos séjours en Grèce. C’est une ville que nous aimons profondément, pour ma part inconditionnellement. Ce premier séjour en Grèce du Nord n’allait donc pas de soi ; j’étais presque mal à l’aise de faire des infidélités à ma grouillante capitale décatie et un peu inquiète de débarquer dans une grande cité, sans repères ni habitudes bien ancrées. Mais j’avais gardé en mémoire les images d’une ville portuaire noyée sous le brouillard de l’hiver, la silhouette lourde de Bruno Ganz longeant la mer, une Thessalonique blanche et grise, humide et funèbre. L’ Éternité et un jour avait laissé une indéfectible empreinte qu’il était temps de confronter à la réalité. La caméra et les longs travellings d’Angelopoulos m’avaient préparée à cette première rencontre… qui eut une toute autre couleur que la brumeuse mélancolique du réalisateur.
D’abord parce que le ciel a affiché un bleu lumineux durant toute la semaine et des températures presque estivales en journée. Et parce nous avons découvert une Thessalonique énergique, dynamique, frénétique, qui semble ne jamais dormir. La ville est riche, riche de sa position stratégique pour le commerce (les porte-conteneurs encombrent l’entrée du port), la finance et l’industrie, et riche de sa politique culturelle. Les quatre vingt mille étudiants s’occupent eux de la vie nocturne, qui fait bruire les rues jusqu’au milieu de la nuit. La crise, qui n’a pas pu épargner le Nord, ne semble pas avoir marqué Thessalonique comme elle a défiguré Athènes ; nous n’avons pas vu la même misère s’afficher, ni des quartiers entiers sinistrés. La ville est même étonnamment propre et les murs servent beaucoup moins de défouloirs aux graffeurs.
Et, chose incroyable que nous n’avions jamais encore rencontrée en Grèce, les habitants n’ont que faire des touristes. Contrairement à Athènes, littéralement sous perfusion des euros draînés par les visiteurs étrangers, Thessalonique paraît se suffire à elle-même. Cela se sent dans les transports, les musées, les sites culturels (où nous n’avons croisé que des Grecs et des scolaires) et les tavernes. J’y reviendrais longuement car je crois n’avoir jamais aussi bien mangé en Grèce qu’à Thessalonique, et nous n’avons subi aucun racolage des tenanciers, ni menus en six langues avec les sempiternels Moussaka, Pasticcio et Yemistes. C’est ici en revanche que j’ai compris l’importance d’aligner quelques mots de grec ; ça déride immédiatement les chauffeurs de taxi qui ne font aucun effort en anglais.
Enfin, nous avons été époustouflés de voir des Grecs se déplacer à vélo (oui, il y a des pistes cyclables à Thessalonique !!), et pratiquer autant d’activités sportives. Nous étions certes présents par hasard le jour du semi-marathon (et il y avait bien du monde en baskets dans les rues), mais le week-end, les habitants, petits et grands, courent, font du canoë, de la voile, du paddle ; le bord de mer qui longe l’avenue côtière Nikis, est noir de monde.
Thessalonique a été pour nous une belle surprise, une ville très lisible que les habitants successifs ont marquée de leur architecture, de leurs monuments civils et religieux, où l’on ne s’étonne plus de voir cohabiter des immeubles modernes, une chapelle byzantine et des bains turcs. Une grosse semaine est nécessaire pour l’apprivoiser, prendre le bon rythme, perdre la timidité que l’on éprouve à se confronter à une grande cité trépidante. Lui manquent néanmoins des espaces verts où se ressourcer dans le silence pour échapper à son trafic infernal. On rentre de Thessalonique un peu fatigués d’avoir arpenté ses longues artères interminables mais ravis d’avoir encore une fois été séduits et captifs d’une autre facette de la Grèce.
Je suis bien contente que tu aies apprécié cette ville qui a, pour moi, un charme bien différent de celui d’Athènes.