Village le plus important de la partie Nord de l’île, Stavros n’a rien d’original ou d’attractif et pourtant, on s’y sent très bien ; église solide, grande place centrale ou trône un arbre centenaire – lieu de rassemblement des habitants dans la fraîcheur du soir -, buste d’Ulysse, musée archéologique, point de vue sur la baie de Poli, rien de frelaté. Un des rares endroits où la présence du roi d’Ithaque aurait laissé deux empreintes, un fragment en terre cuite d’un masque portant l’inscription « Vœu à Ulysse » datant de 300 av et la colline de Pilikata, conforme à la description d’Homère et sur laquelle le palais aurait pu se dresser.
Comme une benête que je suis, j’ai suivi moutonesquement les commentaires des guides et sites internet pour le choix de notre point de chute. Tous décrivent Kioni comme le plus beau village de l’île, classé et protégé, blotti au fond d’une baie croquignolette : et de vanter ses trois moulins à l’entrée du port, ses maisons traditionnelles, son site séduisant et gracieux. Même le Routard enfile les lieux communs, dévotement. Alors, tout cela est vrai… et ennuyeux au possible. Il est extrêmement compliqué de mettre des mots sur une impression, surtout quand on ne peut l’illustrer par des exemples concrets et vérifiables : or, Kioni, c’est très pittoresque, mais ça sent le factice, le ripolinage trop coquet, le trafiqué pour plaire aux touristes et la magie n’opère pas (en tout cas pour nous). Le village qui dégringole au-dessus du port pourrait se situer dans n’importe quelle anse de la Méditerranée : c’est un peu comme si les spécificités grecques avaient été gommées au profit d’une standardisation touristique, d’une neutralité pratique, faussement idyllique, sans aspérités (mais cela semble ravir les Anglais qui y accostent vers 18h00 leurs voiliers de location). As far as we are concerned, c’est bien fâcheux.
Si vraiment vous voulez séjourner ici, je ne peux honnêtement que vous recommander notre lieu de villégiature, Likoudis Villa, qui propose des studios avec de grandes terrasses privatives, piscine d’eau de mer, pierres du pays, poutres apparentes, fresques sur les murs… c’est limite « too much », tant ça se veut folklorique. Mais impossible d’y trouver quoi que ce soit à redire, on sent que l’adorable propriétaire (Pénélope…si si !) s’est mise en quatre pour que ses visiteurs soient rassasiés.
Si Kioni nous a laissée sur notre faim, Frikes a su combler notre appétit de simplicité plus modeste. Imaginez un port minuscule, collé au bas de deux falaises qui contrarieraient les velléités de toute nouvelle construction, où rien n’a changé depuis un demi-siècle (à l’exception gourmande et sucrée d’un fringuant Δωδώνη). Les ruines des belles demeures écorchées durant les tremblements de terre de 1953 sont toujours là, pas question de faire table rase pour construire un hôtel, les villageois vivent avec le souvenir de la colère de Poséidon sous leurs yeux.
Je crois que je pourrais y passer des heures à ne rien faire, humant le temps qui passe, suivant la course du soleil, la journée rythmée par la vie calme des quarante habitants. Le matin, les pêcheurs aux visages bien burinés remaillent leurs filets après avoir frappé les poulpes sur le quai, les mamies papotent, leur balai à la main, les hommes repeignent de vieilles barques, les chats cavalent, les voiliers prennent la mer. Le soir, les papis refont le monde en prenant le frais, les enfants jouent pendant que les femmes bavardent, savourant leur Frappé, les voiliers sont de retour. Ce Katapola* en miniature agit comme un analgésique, un baume réconfortant, une dimension parallèle où l’on flotte, béat, dans un continuel bien-être, un sourire permanent aux lèvres.
* l’un des deux ports d’Amorgos, le plus attachant des deux