Editions Gallimard, 2003
Que les autres biographies, études, recherches, exégèses paraissent poussiéreuses à côté de ce monument ! 758 pages de texte serré, plus les notes, pour raconter comme un roman la vie d’un personnage des arts du XXème siècle, souvent mal connu, mal considéré et mal lu.
Je ne vais pas m’étendre sur l’homme dont il question (cette biographie s’adresse tout de même à des familiers des œuvres) mais sur la singularité de l’écrit. L’auteur a passé plus de quatre ans avec son sujet, relisant tout, revoyant tout, rencontrant ceux qui l’avaient connu, écoutant, questionnant : pas de texte de seconde main, pas de résumé bâclé, pas de poncifs, de clichés éculés sur l’homme. Tout a l’air neuf dans cette biographie. On repart de zéro. Claude Arnaud va laisser la vie de Cocteau se dérouler à son rythme mais avec quel regard scrupuleux ! Rien n’est laissé au hasard. Ce n’est plus une biographie mais de l’archéologie. L’écriture de Claude Arnaud est subtile, perspicace et toujours au service d’une meilleure compréhension de son sujet. La complexité de chaque époque traversée (meneurs, alliances, courants, influences) est analysée avec méticulosité et intelligence car totalement maîtrisée. Au fil des pages, le mythe est « démythifié » : l’homme apparaît sous les masques, ses multiples identités, ses contradictions, ses mensonges, l’auteur veut comprendre qui est cet artiste « protéïforme », comment se sont articulées ses différentes mutations, comment il se nourrit des talents et de la force vitale de ceux qu’il croise. Pour cela, il lui fallait plonger dans les abysses, devenir familier de l’homme, ressentir avec une même sensibilité, jusqu’à démêler (certainement pas excuser) certains comportements ou prises de position discutables. Claude Arnaud rend Cocteau lisible et met en lumière non pas un faussaire, un touche-à-tout, un équilibriste frivole mais un homme fragile, vulnérable, crédule parfois, étonnamment profond et cohérent.