Pour échapper à la foule et retrouver un peu d’air frais quand on commence à étouffer dans Athènes, il suffit de monter sur une colline du mont Hymette qui abrite deux monastères, et de se promener sous les pins pour prendre de la hauteur sur la ville. Évitez toutefois d’y monter un lundi, vous trouveriez les portes du monastère byzantin closes – c’est du vécu ! Petite parenthèse néanmoins pour saluer l’extrême gentillesse des gens du coin, qui, par deux fois, nous ont redescendus gracieusement de la colline en voiture, en prenant soin de nous laisser devant une station de taxi.
Le lieu n’est pas connu d’aujourd’hui : une situation élevée d’où l’on voit jusqu’à la mer, une rivière (l’Illisos), une source, des pins, des cyprès, des oliviers, somme toute, un lieu parfait pour ériger depuis l’Antiquité temples puis monastères, et pour y cultiver un miel de thym devenu légendaire.
Tout à côté du monastère byzantin restauré (dit, de nous jours, monastère de Kaisariani), on trouve une très ancienne fontaine à tête de bélier (dont parlait déjà Ovide), censée guérir de la stérilité et prévenir des naissances difficiles ; un sanctuaire dédié à Aphrodite, associée à cette source, serait la construction primitive de la colline.
Si l’on veut suivre l’histoire chronologiquement, il faut sortir de la forêt et prendre un petit chemin de terre qui serpente dans une oliveraie pour découvrir le premier monastère qui y fut fondé et dont il ne reste aujourd’hui que des ruines et un point de vue magnifique.
Ce site est connu sous plusieurs noms : la colline des Taxiarches, Agios Marcos ou Fragomonastiro, selon le bâtiment auquel on se réfère. Personnellement, je trouve l’ensemble très beau (dès qu’il y a deux colonnes délabrées, une église qui s’écroule, des pierres par terre, que ça dégringole doucement, bref, qu’aucune restauration trop visible n’est venue (cor)rompre l’ambiance, je m’y sens bien). Sa lecture demande un peu d’efforts, car, selon l’habitude d’empiler les constructions et de se servir des matériaux de ses prédécesseurs, le plan n’est pas visible immédiatement.
Pour faire simple, au v/viesiècle, on érige d’abord une grande basilique paléochrétienne à trois nefs. Sur ses ruines, probablement au début du xe, on construit une église byzantine en croix, consacrée aux Taxiarches. Au contact d’un mur de cette église, et à la place d’une ancienne nef de la grande basilique paléochrétienne, est construite une plus petite église, certainement pour servir de chapelle à l’église byzantine. La datation de cette chapelle pose problème : fin du xe, période franque ? (d’où viendrait alors ce nom de “Fragomonastiro”), plus tardive encore ? On ne sait pas vraiment. Après la construction du nouveau monastère byzantin mieux dissimulé des pirates et des pillards, l’endroit sera peu à peu abandonné, hormis l’énigmatique petite chapelle qui veilla longtemps sur la colline, devenue le cimetière des moines. En 1687, les Vénitiens qui occupent Athènes, convertissement la chapelle encore en bon état au catholicisme et la consacrent à Saint-Marc.
Après leur départ, les moines de Kaisariani refuseront d’y mettre une sandale et feront construire une nouvelle chapelle, consacrée aux Taxiarches, pour protéger les sépultures de leurs frères.
Sont encore debout les deux chapelles, dans un état de conservation très différent, au milieu d’un chaos de pierres et de morceaux de colonnes. Nous avons eu le tort de nous y aventurer vers 13h, en plein cagnard, sans un souffle d’air, dans une lumière saturée. Seules les cigales habitent ce bout de terre oublié où s’endorment les vestiges du premier ensemble monastique de Kaisariani.
Ensuite, de retour sous la fraîcheur des pins, nous sommes allés nous poser dans la cour du monastère byzantin où les moines cultivaient les simples, à l’abri de son enceinte. Ce monastère, qui obtenait des revenus confortables de ses terres généreuses en vin, huile et miel, a rayonné spirituellement en hébergeant les têtes bien pleines du xvieau xviiie, qui enseignaient et travaillaient sur les manuscrits de la bibliothèque. De cette bibliothèque, qui faisait la renommée du lieu, il ne reste rien ; certains ouvrages furent vendus, d’autres détruits. Des pièces uniques et à jamais perdues partirent notamment en fumée lors du siège d’Athènes par les Ottomans en 1826/27 : la bibliothèque fut vidée et servit à allumer les mèches des canons !
La date de construction du “Catholicon” oscille entre la fin du xie et le début du xiie siècle, sur les ruines de l’ancien temple dédié à Aphrodite (pas de doute sur l’origine du marbre de l’iconostase et des colonnes à chapiteaux). Son plan traditionnel en croix a été modifié au début du xviie avec l’ajout d’un narthex et d’une chapelle attenante dédiée à Saint-Antoine.
C’est de cette époque que datent la cuisine et le réfectoire, ainsi que le bâtiment des petites cellules des moines.
Cuisine et réfectoire derrière le jardin des simples
Bâtiment des cellules
On en profite alors pour modifier l’usage de l’édifice des bains, construit sur une source naturelle en même temps que Catholicon, pour en faire un pressoir à huile – l’une des richesses du monastère.
Le lien, bien que très restauré, forme un bel ensemble cohérent et reposant. On pourrait regretter la reconstitution un peu artificielle d’un foyer dans la cuisine, la modernité des tables du réfectoire, mais je chipote.
Venir sur la colline permet une nouvelle fois de traverser les siècles, et de comprendre ici facilement comment l’Histoire a affecté la vie des moines et l’ordonnancement de leur cadre de vie.