On ne m’enlèvera pas de l’esprit que la singularité d’un pays, d’une région, se révèle avant tout dans l’assiette, miroir de la substantifique moëlle de ses habitants : J’aime assez ces raccourcis lapidaires, mais ô combien savoureux, où l’on croque une contrée par son rapport à la nourriture, style : « Si les Anglais peuvent survivre à leur cuisine, ils peuvent survivre à tout ». Oui, je sais… mais à l’époque de Shaw, Jamie Olivier et Gordon Ramsay n’étaient pas encore nés…
En ce qui concerne la Crète, il faut nettement relativiser tous ces élogieux commentaires sur son régime ancestral, garant des excès et des méfaits de notre cuisine occidentale déséquilibrée. Une certaine standardisation due au tourisme de masse, les aménagements pour s’adapter aux habitudes alimentaires des touristes (portions plus importantes, omniprésence des frites), le recours inévitable aux produits surgelés (il est matériellement impossible de fournir du poisson frais tous les soirs aux seize millions de touristes qui viennent en Grèce chaque année) ont dévoyé les us et coutumes rigoureuses.
Toutefois, radieuse nouvelle, la Crète propose encore, si vous êtes curieux, fouille-au-pot, et pas trop routinier dans votre lecture des cartes, des plats qui enchanteront les papilles des becs sucrés mais aussi des végétariens, ceci compensant cela sur la balance : ah, souvenir tout ému devant cette première sfakia pita (galette plate, chaude et craquante fourrée de myzithra, largement arrosée de miel), dégustée à Myrtos, au bord de l’eau dans le tout petit resto de mezzés, « Karavostasi ». Ou de ces kalitsounia de la « Scala Fish Tavern » de Matala, où le patron me surprit me vautrant avec délices dans les jardins de la gourmandise, le doigt et le museau pleins de miel. Hilare devant ma mine confuse, il déposa cinq minutes plus tard, et gracieusement je vous prie, une nouvelle assiette de ces petits chaussons frits, garnis de fromage frais de brebis, largement arrosés du nectar des ruches, omniprésentes dans les montagnes crétoises. Toujours à Matala et bien indiquée dès l’entrée du village, on trouve une excellente boulangerie-pâtisserie, si vous souhaitez déguster un petit-déjeuner digne de ce nom ; « Zouridakis » : service à la ramasse et sourire en option mais succulent rizogalo et bougatsa crémeuse à souhait.
Á Héraklion, chez « Ligo krasi ligo thalassa », c’est une montagne de loukoumades qui arrivera sur votre table avec l’addition, petits beignets ronds, tout dodus et dorés, qui se roulent de nouveau dans … le miel. Plus addictif, on ne fait pas. Dans notre bar de prédiction de Kato Zakros, l’ »Amnesia Café », on complète votre petit déjeuner, si on l’estime trop sommaire, par une part de galaktoboureko, encore tiède, dégoulinant de sirop, ou d’un karythopita, gâteau bien riche en noix, sans bourse délier.
Si l’on souhaite ensuite se donner bonne conscience et alléger ces repas, on optera pour tous ces délicieux plats de légumes, riches en herbes et salades locales, dont les saveurs m’ont plusieurs fois bluffée : fleurs de courgettes, briam, horta, hortopites, dakos… on connaît tout ces plats et pourtant, ils vous émeuvent les papilles d’un tout nouveau parfum. Si vous n’êtes pas trop accro à la caféine en fin de repas, demandez un thé des montagnes – tsaï tou vounou -, délicieuse infusion toujours différente : chacun y met ce qu’il veut (herbes endémiques, dictame, cannelle, menthe, thym, sauge, romarin…) et les dominantes varient dans chaque village, chacun se targuant de posséder la meilleure recette.
Tavernes testées lors du séjour :
À Héraklion :
« Ligo krasi ligo thalassa »*2 ; délicieuses courgettes frites, façon tempura, mais très bruyant ☺
« Ο Vrakas », voisin du précédent, copie conforme, même niveau sonore ☺
Dans la Messara :
À Kalamaki : « Delfinia » ; recommandé par notre logeur, pas convaincue par le poisson que je soupçonne congelé, malgré les dénégations du proprio
À Sivas : « Sactouris » *2 ; très bonne table pour ceux qui aiment la verdure crue ou cuite dans leur assiette, serveuse adorable☺☺
À Zaros : « Sinontisi » ; bon plan pour une assiette de mezze (pikilia) ultra copieuse à l’heure du déjeuner dans petite taverne tenue par un jeune couple, très sympa ☺☺
À Kommos : « Vrohos » ; sur la corniche en surplomb de la plage de Kommos, bon poisson frais ☺
À Matala : « Scala fish tavern » ; tout au bout du front de mer, à gauche, table un peu plus sophistiquée, excellent bar grillé, poulpe itou ☺☺
Vers l’Est
À Myrtos : « Kravostasi » ; le long de la plage, succession de restos. Nous avons choisi celui qui nous a paru le moins trafiqué pour un encas de midi ; bonne pioche, carte courte mais mezze ultra frais ☺
Tout à l’Est
À Kato Zaros : « Nikos Platanaki » *4 ; notre cantine attitrée, le propriétaire possède son potager et son élevage, la qualité des plats et les assaisonnements s’en ressentent, forte fréquentation grecque, musique certains soirs à la table des locaux ☺☺
À Kato Zaros : « To Akrogialy » ; service collant, limite gluant, cuisine plus standardisée que le précédent
À Kato Zaros : « Nostos » ; poissons de bonne tenue mais service alangui ☺
À Mochlos : « Ta Kavouria » ; bon rapport qualité prix
Plateau de Katharo
À Kroustas : « O Kroustas » ; table du séjour, très couleur locale, agneau d’anthologie, pâtes faites maison fondantes et onctueuses à souhait, fromage du coin, pain à la saveur unique ☺☺☺
À Kritsa : « Lato » et « Platanos », simple et bon
À Agios Georgios : « Taverne Réa » ; plat du jour imposé, très goûteux au demeurant mais pratique commerciale un peu limite, tout de même.