Les enfants de l’euro
Èditions Xenia, 2011
Février 2011, la journaliste greco-suisse, Isabelle Guisan, parcourt la Grèce, de la Thrace aux Cyclades, à la rencontre de jeunes adultes qui sont l’avenir de leur pays. Si les journaux et les télévisions qui couvrent les événements grecs, nous abreuvent de chiffres apocalyptiques concernant l’ampleur de la dette, des déficits, des fortunes détournées, et brossent un portrait impitoyable de la corruption et des mauvaises habitudes des contribuables grecs, nous ne savons plus très bien ce qui est du ressort du poncif, du parti pris ou du fantasme. Nous n’avons le choix, à deux mille kilomètres d’Athènes, qu’entre les truismes de l’économiste pincé qui sait tout mais qui a laissé faire, l’arrogance des « y’a ka / fo kon », l’acharnement revanchard germanique, les raccourcis simplistes des journaleux qui bâclent leur papier. Pourtant, le marasme dans lequel s’enfonce la Grèce, c’est avant tout de l’humain, des existences brisées par six plans d’austérité successifs, qui n’ont fait qu’empirer les choses.
Isabelle Guisan a laissé parler treize jeunes (la plus âgée a 32 ans, la plus jeune, 18), tous d’origine modeste – à l’exception d’un seul –, représentatifs de la diversité de la société grecque d’aujourd’hui. Ces instantanés sont l’occasion d’entendre des voix que l’on ne perçoit jamais lorsque l’on passe un peu de temps en Grèce ; celle des minorités, ces Grecs musulmans dont j’ignorais tout, de ces Pomaques qui vivent à la frontière bulgare, des Kurdes irakiens en transit vers l’Italie, des Albanais qui pensent rentrer chez eux, puisque le déclin de la Grèce rend de nouveau leur pays attractif.
Tous font le constat d’un pays en panne, tous se débrouillent comme ils le peuvent à l’aide de petits boulots peu ou pas déclarés, souvent sans contrat et sans protection sociale. Leur quotidien s’assombrit à mesure que les années de récession s’enchaînent, leur laissant un avenir vide d’espoir. Témoins de l’épuisement d’un pays saigné à blanc, ils sont parfaitement lucides sur les raisons du chaos et la responsabilité de leurs aînés : « on se sent dans un pays sous-développé où rien n’est puni : que ce soit le fait d’exploiter ses employés, le vol déclaré ou l’argent évadé à l’étranger. » Tous de reconnaître une société viciée, dirigée par une clique vénale, des abus, des fraudes, mais dont ils profitent encore pour certains, laissant aux autres le soin d’appliquer le civisme dont ils rêvent pour le pays. Ces enfants de la Grèce semblent démunis sur le chemin à prendre, oscillant entre des envies d’exil, le repli dans le village familial et le désir d’un pouvoir fort à la tête de l’État, qui nettoierait les écuries d’Augias : « Dimitri n’est pas le seul à penser que leur pays aurait besoin d’une dictature, d’une nouvelle junte pendant un an ou deux, le temps de calmer les choses, de faire appliquer les lois. »
Brusquement, l’image encore très « carte postale » d’une certaine Grèce, prend un sérieux coup de plomb dans l’aile.