Dernier post consacré à un coup de foudre fortuit et assez surprenant pour Plomari et ses abords. Logés sur la côte Sud, à Agios Isidoros, un peu dépourvu d’intérêt et de taverne, mais formidablement bien situé les pieds dans la grande bleue, nous avons dû passer par la case Plomari pour nous caler l’estomac. Pourtant, le tout premier contact matinal n’avait provoqué aucune béguin, tant la route qui longe le port ne casse pas des briques ; des bâtiments modernes, une grande place mal fichue, ultra-bruyante, un trafic horripilant et un port tartignole. Descendant de Molyvos, bien décidée à étriller tous les villages qui s’écarteraient du charme très addictif de notre premier point de chute, j’avais trouvé matière à raillerie.
Parti-pris consternant. Car Plomari, le vrai Plomari, se découvre à l’arrière du front de mer, de part et d’autre du cours de la rivière Sedounda* qui trace un large ravin. La ville date de 1842, lorsque les habitants du village de Megalohori, situé à 10 kilomètres sur les hauteurs, descendirent vers la mer, après trois années consécutives d’incendies destructeurs. Ils bâtirent une ville en amphithéâtre, développèrent des chantiers navals sur le port, et Plomari devint un carrefour commercial et industriel florissant, densément peuplé, comptant un nombre impressionnant de pressoirs à olives, de savonneries, d’usines de talc, de moulins, et de fabriques d’ouzo. L’interruption des échanges commerciaux avec l’Asie mineure dans les années vingt sonna la fin de cette prospérité.
Mais aujourd’hui, on lit encore le tissu urbain de la ville à l’aune de cet essor économique, car l’architecture civile et industrielle est restée intacte : les maisons simples des ouvriers des chantiers navals et des pêcheurs dans le quartier de Tarsanas, les demeures anciennes « orientalisées » dans le vieux quartier d’Aghios Nikolaos. Le long de la Sedounda, les maisons de maître néoclassiques des propriétaires des huileries et savonneries ; plus haut, sur les deux rives, celles des employés des usines, et plus haut encore, quelques vieilles fermes très usées, toujours en activité. Suivre la rivière est une très jolie balade dans le temps, car toutes les usines, les tanneries, les savonneries, certes désaffectées, sont toujours debout. Elles en imposent encore avec leurs belles constructions altières et leur matériel intact qui dort sagement dans leur ventre.
Oui, les habitants de Plomari se garent et roulent DANS la rivière…
Attention, si comme nous vous avez des envies de forcer un peu les portes, c’est à vos risques et périls, car certains planchers sont souvent à bout de course.
On peut facilement passer une matinée entière à explorer ces bâtiments vieillissants, à grimper des escaliers dérobés, à suivre des ruelles si étroites qu’on n’y passe pas à deux de front, à admirer les vieilles portes ornementées, les balcons travaillés, les structures de pierre et de bois, les premiers étages tarabiscotés qui s’avancent en saillie…
Maison de maître
Maison d’ouvrier
Ferme toujours en activité, si si !
On peut redescendre par le quartier des artisans, où subsistent de très vieux ateliers, des manufactures de cuir, des ébénisteries, de minuscules distilleries d’ouzo (qui embaument à trois rues), avant d’arriver dans le vieux quartier, dit Platanos (l’arbre séculaire aurait été planté là en 1813…), ombragé et calme, repère de tavernes désuètes mais savoureuses.
Nous avons rapidement pris nos habitudes sur la πλατεια Βενιαμιν ο Λεσβιος **, bordée d’archaïques kafenio figés dans un autre temps. Pas une femme dans les parages, juste des παππουδες sirotant leur café, humant l’air du jour ou jouant au tavli. Le Kafeneio Koytzamani possède une petite terrasse pour profiter du spectacle de la place vers 20h, lorsque l’activité de l’après-midi bat son plein : les habitants viennent faire leurs courses dans le quartier, s’interpellent, braillent, vocifèrent dans leur portable, s’asticotent pour mieux se taper sur l’épaule ensuite, se garent n’importe où… On ne se lasse pas de cette ambiance tonique et un brin sonore. On vient pour le café du matin (excellente boulangerie à deux pas), pour la Fix en fin de matinée et pour l’apéro du soir. Avec deux trois mots de grec, on se fait vite adopter par les consommateurs hors d’âge locaux, qui cherchent loin dans leur mémoire leurs rudiments de français : ambiance conviviale assurée. À l’étage, on trouve le musée folklorique de Plomari, fermé par défaut, sauf si vous demandez très gentiment la clef au propriétaire du café. Le lieu regorge de vêtements, d’objets, de livres, de photos d’une ville qui construisait son futur industriel. Pas incontournable mais intéressant.
En rentrant de Plomari vers Agios Isidoros, la route longe l’ancienne savonnerie Xypteras haute de trois étages, éclairée de nuit intra-muros. Bien sûr, nous avons foncé découvrir de l’intérieur le bâtiment (encore une fois, rien n’est sécurisé, prudence donc si vous enjambez la planche censée fermer l’entrée) et nous avons découvert un espace magnifique, digne d’un décor d’opéra, peuplé uniquement d’oiseaux qui se sont envolés à notre arrivée. Quelle idée formidable de mettre ainsi en valeur à coût réduit la mémoire de la ville !
Il y a de belles balades à faire en suivant les gorges de la rivière Sedounda qui creusent une région montagneuse : la nature y est luxuriante, riche de sources, mélange d’oliviers, de hauts cyprès et de platanes ; le vert omniprésent n’est troublé que du gris des petits ponts de bois, des pierres des moulins à olives, des chapelles oubliées, des petites maisons basses délabrées… un paysage assez éloigné de ceux que l’on imagine quand on pense à la Grèce, mais peu touché encore par l’homme et indubitablement authentique.
* Plomari s’est d’abord appelé Potamos (ο ποταμος = la rivière).
** Benjamin de Lesbos est un moine, érudit et professeur, né sur les hauteurs de l’actuelle Plomari en 1759 ou 1762.
A te lire, je regrette de ne pas y être passée, mais il est vrai que je ne suis restée que quelques jours à Lesbos, il y a bien longtemps et en plein hiver.