Seconde découverte inouïe aux Éditions Attila, – après le choc du roman de Jacques Abeille (ici) -, que ce récit dément d’un auteur octogénaire, publié pour la première fois en 1984, Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Memorial à Manhattan. Oui, il s’agit bien du titre du livre, à l’assonance singulière…, car, dit-il, « ma mère avait choisi de mourir de manière allitérative ».
Paul Auster, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan avaient déjà remarqué cet Américain de New York, lors de la parution d’un premier texte en français chez Gallimard, en 1970, Le Schizo et les Langues. Diagnostiqué schizophrène très jeune, habitué des asiles psychiatriques, vouant aux gémonies sa langue maternelle *, l’homme vit en permanence avec des écouteurs aux oreilles pour se repaître d’autres idiomes, le français en première place. Sous perfusion financière de l’état pour « incapacité depuis l’enfance », Louis Wolfson parie et perd et passe cette pension sur les champs de courses, échafaudant à longueur de journée de fumeuses théories pour présager des résultats. Comportement obsessionnel, compulsion maniaque, férocité, narcissisme, délires et paranoïa, tout peut être retenu contre lui. Il tient à distance ce qui touche à l’émotionnel, au relationnel, étanche à la souffrance de ses proches. Muré dans un implacable détachement, il consigne par écrit, d’une manière clinique et glaciale, en alternance avec les carnets personnels de sa mère, la maladie, la décrépitude, la mort de sa génitrice. Aucune ironie, même pas de persiflage ou de deuxième degré, il ne ressent rien, il est juste factuel. Il est un homme effroyablement seul, exposé à un monde hostile, dont il n’attend qu’une chose, éructée à longueur de paragraphe, la destruction prochaine, lors d’un cataclysme nucléaire.
Cette haine profonde de l’humanité qu’il considère ignorante, abrutie et perverse, est ressassée, mâchouillée, opposée à son intelligence, sa culture, sa propre clairvoyance. Á moult reprises, il affirme que, selon les Grecs, le plus grand bonheur qui puisse échoir à un homme, c’est de ne pas être né. Lui a eu la poisse. Il faut attendre la page 237, sur 301, pour percevoir enfin la propre souffrance de Wolfson, lorsqu’il décrit, sans s’y attarder, les traitements subis en hôpitaux psychiatriques : électrochocs, lobotomie par brûlure neuronale, cerveau toasté, chocs insuliniques, comas hypoglycémiques répétés et l’arrogante prétention des « médecins », « des saletés qui semblent devoir s’acharner agressivement, tout en remplissant leurs goussets et en se procurant un sentiment accru de pouvoir arbitraire et dictatorial, à aider des malheureux qui ne veulent pas être aidés par contrainte et au prix de la privation, moralement illégale, de leur liberté, au nom d’une sacro-sainte santé mentale ! » Tout à coup, sous la folie hallucinée de Louis Wolfson, apparaît comme un ricanement d’hyène, qui renvoie à la société sa propre responsabilité. Monumental.
* dans les deux sens du terme …