Park (Park),
Film hellenico-polonais de Sofia Exarchou
Festival de Toronto, septembre 2016 / Sortie en France, juillet 2020
Festival du Film d’Athènes / Meilleur Espoir Féminin, Dimitra Vlagopoulou et Meilleure Réalisatrice, Sofia Exarchou. Hellenic Film Academy Awards / Meilleur Premier Film, Sofia Exarchou
Festival du Film de Thessalonique / Meilleure Actrice, Dimitra Vlagopoulou
La fête olympique fut belle, en 2004. La Grèce, encore officiellement éloignée de la crise économique abyssale qui allait la saigner, s’arrangeait pourtant déjà avec une fragilité financière structurelle : si les aménagements furent livrés ric-rac, le retard à l’allumage, l’impréparation, la corruption, la vision à court terme eurent raison de la pérennité des sites, laissés immédiatement à l’abandon. Construit au milieu de nulle part, le village olympique, chèrement payé à crédit, s’étiole vite, se désagrège, jusqu’à pourrir en no man’s land, longé par une voie rapide, loin de tout, et surtout de l’espoir qui l’avait vu sortir de terre.
Sous l’œil de Sofia Exarchou, il est, dix ans plus tard, devenu le terrain de jeux d’adolescents, témoins et premières victimes de l’effondrement du pays. Ils tuent le temps et leur ennui au bord de bassins à demi remplis d’eau de pluie croupie, dans des bâtiments totalement déglingués, tagués, déprimants, chauffés à blanc sous le soleil torride d’un été irrespirable, à bien des égards… Les filles se trémoussent et aguichent les gars qui se pavanent sur leurs scooteurs, les ados organisent des ersatz de compétitions entre les plus jeunes qu’ils brutalisent, et gagnent quelques euros en monnayant les saillies de leur mascotte, un pitbull hargneux. Ça hurle, ça casse, ça cogne, ça provoque, toujours à la limite d’un dérapage fatal. Sofia Exarchou filme le site olympique comme un piège, un lieu fermé sur lui-même, qui emprisonne l’énergie vitale des gamins et qui génère de fait violence et animalité. On ne sait plus si les vestiaires et les douches, où se rafraichit aujourd’hui le groupe d’adolescents, sont ceux d’un complexe sportif ou d’un centre de détention pour mineurs. Passer sa jeunesse dans un lieu agonisant et sinistre n’augure rien de bon pour le devenir de ces mômes, sur qui va peser un déterminisme social aggravé par la crise économique.
On suit plus attentivement les deux plus âgés de la bande, Dimitri et Anna, jeune couple taciturne qui tente de sortir de cet espace nécrosé. Rien à attendre des parents, aux abonnés absents ; on croise vaguement la mère de Dimitri, dépressive et un peu portée sur la bouteille, qui passe ses journées à dormir sur son canapé. Pas d’espoir non plus côté boulot, même les métiers les plus ingrats débauchent les derniers arrivés. L’avenir de cette génération est au point mort. L’amour n’arrive pas à faire sortir les deux jeunes gens de leur mutisme ; pas de de rêve commun, de communication, de gestes affectueux ou au moins complices. Mais une très longue scène de sexe pénible, mécanique, insatisfaisante pour lui, douloureuse pour elle. Comment communiquer, accepter de la tendresse et en donner, quand on n’a jamais eu les mots et le mode d’emploi ? Alors, tout passe par les corps, fins et musclés, qui expriment l’énergie, la vigueur, la force, mais déjà marqués de cicatrices profondes, de blessures d’amertume, d’aspirations à jamais déçues.
Dimitri et Anna s’aventurent un peu timidement d’abord, puis avec plus d’assurance dans les stations balnéaires pas trop classieuses, proches d’Athènes. Ils regardent les touristes avec envie, avant de se mêler à eux, dans l’espoir de goûter une autre existence, même par procuration. Mais là aussi, la tentative est un échec. Pas grand’chose à partager avec une jeunesse british insouciante, venue picoler et faire la fête, et rien du tout avec des quinquagénaires russes ou hollandais, tout aussi vulgaires et méprisants. Dimitri retrouvera immédiatement ses réflexes d’animal piégé, versant dans la brutalité, la colère, l’emportement envers ceux qui l’humilient sans nullement s’en rendre compte.
Au début de l’automne, on retrouve les mêmes garçons un peu plus cabossés, toujours vissés sur leurs gradins trempés de pluie, vestiges dérisoires de la grandeur déchue de leur pays. Une saison a passé, Dimitri et Anna se sont séparés, mais rien n’a changé dans les ruines désolées du village olympique.
Park est un enfer pavé de bonnes intentions, mais… les bonnes intentions ne suffisent pas à faire un (bon) film. On se demande d’ailleurs pourquoi la réalisatrice a choisi une fiction, quand un documentaire aurait été plus percutant. Sans le soutien d’un scénario digne de ce nom, les mêmes scènes se répètent, volontairement réalistes et crues, et traînent en longueur, sans intrigue réelle, sans tension. Sofia Exarchou se refuse une once d’esthétisme et filme, avec l’aide précieuse de Monika Lenczewska à la photographie, caméra à l’épaule dans une lumière jaune fanée et des contre-jours aveuglants. Les actes de violence purement gratuits finissent par tourner à vide et mettent le spectateur dans une position de voyeurisme inconfortable. Le film, qui choisit l’observation froide, pâtit de ce refus d’une vraie narration et s’étire, aussi monotone et desséché que les journées vides des adolescents…