Onze histoires de solitude (Eleven Kinds of Loneliness)
Un été à Cold Spring (Cold Spring Harbor)
La fenêtre panoramique (Revolutionary Road)
Easter Parade

Éditions Robert Laffont

 

Si vous avez vu l’excellent film de Sam Mendes, Les noces rebelles, adapté du livre Revolutionary Road, avec Kate Winsley et Leonardo DiCaprio, le nom de Richard Yates,  romancier américain mort en 1992, vous dit vaguement quelque chose. La classe moyenne américaine de Pearl Harbor et de l’après-guerre, les rêves de jeunesse, leur évanouissement dans les réalités implacables et matérielles  de l’âge adulte, la renonciation à ses ambitions et la vie insignifiante qu’il va falloir supporter, tels sont les fils rouges de son œuvre qui ont fait de lui un chroniqueur hors pair de ses contemporains. Tombé dans un oubli total, alors que reconnu par d’immenses écrivains, de Tennessee Williams à Joyce Carol Oates, Richard Yates creuse toujours plus profond le sillon du fiasco navrant des échecs annoncés, contemplant sans relâche cette génération perdue, qui enfantera les rebelles des années 70. Considéré par la critique et les lecteurs des années 80 comme dépassé et un brin obsolète, Yates tourne le dos  à son époque et reste collé à celle qui a fait de lui ce qu’il est, un écrivain mal aimé, alcoolique, dépressif et solitaire, fracassé par une famille décomposée et une mère chancelante.

Richard Yates observe la vie quotidienne des petites gens, la matière complexe et hétéroclite des familles, la difficulté d’être soi parmi les siens, les incompréhensions, les silences et l’extrême solitude de chaque être humain. Il dissèque avec minutie un monde clos, étouffant, où ses personnages se débattent, pris au piège de leurs ambitions trop vagues mais si faibles pour s’échapper. Le trait n’est jamais lourd, ou ironique, ou méchant. Richard Yates développe une empathie, une tendresse pour ses individus très moyens, qui vivent les uns à côté des autres, dans des mondes parallèles qui ne peuvent converger : lorsqu’ils se croisent à l’heure du dîner, le silence pèse, bas et lourd, dissipé par les feuilletons radiophoniques, qui évitent les confrontations brutales et les règlements de compte violents.

Les hommes échouent ou préfèrent ne rien voir, les femmes fuient, dans la neurasthénie, la maternité ou la boisson, les adolescents perçoivent les mensonges et l’insoutenable isolement des adultes, dont les grandes espérances sont avalées dès la fin du lycée. La chute est extrême entre les rêves de réussite et la réalité sordide du quotidien de l’usine pour nourrir les enfants nés trop tôt. Alors, on comble le désenchantement par des relectures incessantes d’événements sans intérêt qui deviennent exceptionnels, à grand renfort de superlatifs, de surenchère qualificative. Après tout, comment supporter ce vide, ces déceptions, cette certitude qu’il est déjà trop tard et que la vie est passée à côté en nous oubliant, si ce n’est dans cette réécriture du réel ?

Richard Yates regarde ce monde déçu qui n’a pas encore le courage de tout envoyer valdinguer : il y a en fait très peu de violence physique entre les personnages, qui corsettent leur ressentiment pour ne pas blesser les autres. Car tous pressentent qu’une fois la ligne franchie, il sera impossible de revenir en arrière. Alors, on s’accommode tant bien que mal, on meuble, on passe l’éponge et on attend on ne sait plus très bien quoi, dans la tristesse et l’ennui.