Salgado Amazônia
Exposition à la Philharmonie de Paris
Jusqu’au 31 octobre 2021
Catalogue un peu coûteux : 100 Euros…
Pour toi, B, bien sûr !
Étranges sentiments en quittant la Philarmonie : euphorie et tristesse, éblouissement et désespoir. Si retrouver les photos de Sebastião Salgado est toujours un moment exaltant, cette exposition laisse comme un goût un peu amer. Car elle pose un dernier regard sur ce qu’était l’Amazonie, entre 2013 et 2019 et qu’elle n’est déjà plus. Deux cents clichés, tous plus sublimes les uns que les autres, pour dresser un constat édifiant ; cet écosystème luxuriant, malgré son évidente vigueur, sa puissance, sa résilience, se délite sous les coups de boutoir d’une destruction programmée, sans aucun égard pour le rôle qu’elle joue dans la survie de l’humanité entière.
Certes, le photographe brésilien se garde bien de montrer la déforestation, les zones de brûlis, les champs de soja à perte de vue, les rivières polluées par les orpailleurs. L’optimisme chevillé au corps, il préfère exposer les mille visages d’un territoire immense qu’on croit toujours entendre respirer. Mais pour combien de temps ? Révéler la beauté sauvage pour parler en creux de son saccage, réveiller les consciences, et alerter, encore et toujours de la fragilité de ce territoire essentiel à la vie, est devenu une seconde nature chez Salgado. « L’Amazonie sert à garantir l’humidité de la planète, l’oxygène de la planète. Autrement dit, à garantir l’essentiel de notre existence. Il faut que tout le monde fasse pression pour que sa destruction s’arrête. » Et il va chercher, inlassablement, dans la fureur des pluies, la force et la profusion des arbres, le déchaînement des fleuves, l’énergie pour témoigner à sa manière que cette nature séculaire doit survivre à l’arrogance destructrice de l’homme moderne.
La mise en espace se met au service des grands formats en noir et blanc, suspendus avec légèreté, simplement regroupés par thématiques (vues aériennes, montagnes, rivières de pluie, fleuves…) autour de trois « ocas », petits îlots circulaires rouges, symbolisant les maisons communautaires indiennes, tapissées de photographies de dix tribus sachant toujours vivre en osmose avec la forêt. On peut y entendre les témoignages des chefs de communauté, désemparés devant la dévastation de leur habitat et les coupes sauvages des arbres.. Car cette forêt amazonienne n’est pas seulement le poumon de l’humanité, elle accueille, protège, nourrit, soigne, plus de trois cents peuples et préserve autant de langues. « Ces cultures ont des traditions héritées des Incas, qui, sous la pression des Espagnols il y a 500 ans, sont descendus dans la forêt et n’en sont jamais repartis, explique Salgado. J’ai travaillé avec la tribu Zo’é venue de la côte atlantique brésilienne ; les Jésuites en avaient rapporté l’existence en 1580-1600 mais, depuis, on pensait qu’elle avait disparu, et puis on l’a retrouvée il y a une vingtaine d’années. »
Il y a une évidence quand on suit Salgado par les airs, les fleuves et les pistes au cœur de la forêt : l’unique manière de préserver ce qui peut encore l’être, ne peut passer que par le renoncement à notre mode de vie consumériste occidental, à contre-courant de la frugalité, la simplicité, l’humilité des tribus amazoniennes, qui n’ont jamais abimé leur terre nourricière. Le spectateur se sent à la fois ému et admiratif devant la beauté des visages et des corps rompus à la survie en milieu hostile, devant les gestes ancestraux, les cérémonies chamaniques, les scènes de chasse et de danse. La communion de l’homme et de la forêt foisonnante dans la chaleur, la moiteur permanente, les pluies diluviennes, les fleuves tempétueux, sinueux et traîtres, nous renvoie en miroir à notre fragilité d’hommes modernes soi-disant civilisés, devenus de fait hautement vulnérables.
On retiendra surtout ces photos, devenues quasiment des tableaux, qui captent l’évaporation dantesque de la forêt ; cette exhalation crée des débordements d’humidité aérienne, qui semblent couler sur la canopée comme une rivière divine baignerait la cime des arbres. Quelque chose là nous dépasse, et l’on reste silencieux, sidéré, devant la perfection de ces images qui saisissent l’indicible, l’éphémère, la puissance tellurique d’une terre primitive qu’on ne saurait voir disparaître.
PS : Nous passerons sur la bande-son superfétatoire, composée par un Jean-Michel Jarre toujours aussi peu inspiré.