Haroula, Dimitra mais aussi Hadjidakis, Loizos, Theodorakis….
On peut toujours compter sur les trois μοϊρα pour vous retourner le destin : alors qu’on partait pour un dimanche frigo (2° à 08 h 30 !) – écharpes et gants ressortis des armoires -, saturé d’infos du monde dépressives au possible, avec pour seul horizon ce mois de novembre où il fait nuit à 17h30 (en breton, on le traduit par « Du », qui veut dire aussi « noir », le mois sombre), deux places providentielles pour l’Olympia nous ont ramenés en Grèce, le jour de la grande fête du NON (το oχι), pour le concert d’Haris Alexiou et Dimitra Galani.
Barrière de la langue oblige, les Français connaissent très peu les grandes voix de la chanson grecque, à l’exception d’Angélique Ionatos, qui fait partie depuis près de quarante ans de notre paysage immédiat (et qui ne semble en revanche pas très connue dans son propre pays d’origine). Au mieux, Alexiou et Dalaras, parfois Eleftheria Arvanitaki, et puis c’est tout (résultats issus d’un petit sondage perso). Si πουλάκι μου n’avait pas pris en main mon éducation musicale grecque, j’afficherais assurément les mêmes lacunes.
Les travées de l’Olympia accueillaient donc un public aux trois quarts grec ou au moins hellénophone, mais de tous âges, déjà au taquet, disposé à faire la fête, le verbe haut, la belle humeur contagieuse. Habituée aux salles de spectacles depuis longtemps, je pense pourtant avoir assisté à un de mes concerts les plus barrés. Haris Alexiou et Dimitra Galani affichent au compteur 62 ans chacune, leur répertoire ressemble assez peu à des chansons pop rock et cependant, l’ambiance dans la salle était incroyable ! Contrairement aux Parisiens poseurs blasés, raides du balai vissé dans leur fondement, déjà fatigués de devoir applaudir avant le premier titre, les Grecs vivent la rencontre, chantent à la première chanson, tapent dans les mains, réagissent dès la seconde note, se lèvent s’ils en ressentent le besoin pour manifester leur bonheur, saluent une phrase du texte qui les touche par une salve d’applaudissements spontanés et surtout… ils dansent ! Pendant le Αποψε θελω να πιω d’Haroula, ma voisine de droite, jeune fille d’à peine vingt printemps, s’est levée de son fauteuil pour un zeibekiko gracieux, circulaire et ondulant, totalement absorbée par la musique et la voix. Á côté de la console de son, d’autres filles, entre 25 et 65 ans, tournaient lentement aussi, bras levés, comme un Zorba hypnotisé par le sandouri. Le public se sent libre de ressentir avec tout son corps la musique, de faire totalement abstraction des autres, de se laisser aller aux sensations et d’exprimer par la danse leurs émotions. L’ambiance dans la mezzanine était, il est vrai, bien plus débridée qu’au parterre, où les huiles et les sommités se devaient de modérer leur naturel tapageur.
Nos deux chanteuses vibraient elles aussi d’énergie, de chaleur, communiant avec un public tout acquis, comme un peuple suivrait ses prêtresses. Haris Alexiou et Dimitra Galani ne chantent pas seulement avec des voix fabuleuses mais avec leurs âmes, donnent sans compter, sans tricher, comme le dernier privilège qui leur serait octroyé. Durant deux heures et demi, elles passent en revue, chacune leur tour, puis en duo, leurs grands succès mais aussi les chansons traditionnelles, qu’elles entonnaient à leur début dans les rades de Plaka ; le rythme s’accélère alors, les Grecs se déchaînent, ça chante à plein poumon, le bouzouki fume, le violon s’envole, nous ne sommes plus à Paris, on est à Athènes. Avec courtoisie, Haris et Dimitra communiqueront aussi en français avec nous (même si on enrage de ne pas comprendre les plaisanteries, les private joke, les remarques affectueuses, ces tonneaux de tendresse qu’elles déversent sur leurs compatriotes transportés) pour nous rappeler pourquoi la Grèce reste la terre de la beauté, qu’elle est immuable et qu’il faut toujours l’aimer …
Merci et bravo pour cet article qui décrit parfaitement l’ambiance de l’Olympia dimanche dernier. J’étais sans doute assise pas très loin de vous, car on a vu la même chose sur la mezzanine !