Skyros – Introduction

Il y a des îles qui vous font les yeux doux, qui vous cueillent dans leurs filets à peine débarqués, qui déploient tous leurs charmes et vous murmurent des gracieusetés à l’oreille pour vous faire succomber. En revanche, d’autres font fi de votre présence, s’en contrefichent ouvertement, parce qu’elles se satisfont de leurs seules beautés naturelles, brutes et indéniables. Vous n’êtes que de passage, pas de quoi s’agiter et s’apprêter pour si peu.

Skyros pourrait être l’archétype même de ces îles qui revendiquent leur inertie par fidélité à ce qu’elles ont toujours été, une terre d’agriculture, d’élevage et d’artisanat. Le monde peut bien se démancher, peu leur importe ! La dame ne fait aucun effort, c’est à vous d’être curieux, attentifs, d’aller vers elle et surtout vers ses habitants. Skyros somnole une bonne partie de l’année (un seul hôtel reste ouvert en hiver) et ne s’éveille véritablement qu’en juillet et août, lorsque les Athéniens et les habitants d’Eubée prennent le ferry pour ouvrir leurs maisons d’été. Les visiteurs sont en majorité grecs, vos oreilles entendront peu d’autres langues et c’est tant mieux.

Skyros cumule certains inconvénients qui sont en fait des avantages, bien utiles pour rester planquée, à l’abri d’un flot de visiteurs trop nombreux :

  • L’île n’est pas bien desservie (début juin, quatre avions par semaine au départ d’Athènes – en comparaison, à cette même période, dix vols desservent Santorin quotidiennement)
  • Pas de ferry au départ du Pirée ou de Rafina, il faut relier Eubée en bus jusqu’au port de Kimi
  • L’île est mal reliée aux autres Sporades (il faut repasser par Kimi)
  • Skyros abrite plusieurs bases militaires – au motif que les côtes turques seraient attenantes… pourtant, quand on regarde une carte, cette proximité ne saute pas aux yeux… L’avion se pose d’ailleurs sur l’aéroport militaire, au Nord de l’île : pas question donc que cet aéroport devienne international et les rotations avec Athènes sont limitées, « secret défense » oblige !
  • La grande majorité des Grecs qui viennent à Skyros possèdent sur l’île une résidence secondaire. L’offre d’hôtels, de studios ou de chambres chez l’habitant est de fait peu développée. Pas de bétonnage ou de grands complexes, ouf, on respire.
  • Les eaux qui baignent l’île, irréprochables de clarté, sont un brin frisquettes, même en juin (bon, n’exagérons pas non plus, j’ai connu bien pire dans le Finistère)
  • Nous avons essuyé un jour et demi de pluie, alors que les Cyclades, sur la même période, étaient déjà au beau fixe.
  • Et, enfin, pas de volonté marquée que tout cela change… joie !

Skyros pourrait être comparée à une sorte de sablier : deux parties bien distinctes, reliées par un goulet resserré. Le Sud est montagneux en son milieu, rude, aride, rocheux, terre des chèvres sur les pentes abruptes et des moutons sur les plateaux. C’est aussi là que l’on peut croiser les derniers chevaux sauvages de l’île, race locale qui ne dépasse pas un mètre dix au garrot. Pas d’habitations, pas de cultures, pas de plages, juste un désert de pierres blanches, grises et rouges. Les troupeaux se débrouillent avec les buissons d’épineux, les herbes endémiques et les quelques sources qui dévalent de la montagne. Ne règnent ici que le silence ou le vent, et les tintements des cloches des chèvres.

Au Nord, Skyros se teinte du vert de ses champs, de ses forêts de pins qui avancent jusque sur les plages. Les terres sont fertiles et bien arrosées. La présence de roseaux, d’eaux stagnantes et d’une tripotée de moustiques voraces révèle l’existence d’anciens marais. Vivent ici les agriculteurs, les pêcheurs, pas bien loin du Chora, village tout blanc qui dégringole de sa citadelle vers la mer. Cette opposition bien trop marquée entre le Nord et le Sud si dissemblables, suggère que Skyros est en fait le résultat de bouleversements géologiques qui ont rapproché et unifié deux terres en une seule.

Si vous êtes passés par le Musée de l’Art populaire grec, sur Kidathineon à Plaka, vous avez gardé en mémoire ces costumes étonnants venus de Skyros, revêtus pour le carnaval ; peaux de chevreaux sur le visage, les habitants avancent ceinturés de cloches, munis du haut bâton de berger recourbé, et ouvrent la procession jusqu’en haut du Chora, au monastère accroché à la paroi. Rien de tel en juin mais je ne suis pas étonnée qu’une île, qui a su si bien se préserver de l’invasion touristique, garde précieusement son âme et ses traditions.

DR

Ces photos sont issues de greek-islands.us

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