Spetses – l’exception du vieux port !

Bien naïvement, je pensais retrouver à Spetses un je-ne-sais-quoi de breton, une sorte de ville corsaire à la mode hellène, fantasme alimenté par son glorieux passé marin. Quand on imagine un Saint-Malo grec et qu’on se retrouve dans une station balnéaire glaciale aux charmes décatis, l’atterrissage est rude. Même les plages m’ont parues tristes, pas engageantes, comme les bâtiments délabrés de la grande école pour garçons de Sotirios Anargyris, aujourd’hui déserte.

Plantée devant l’hôtel Poseïdonion, se dresse la statue de Laskarina Bouboulina, vestige du rôle capital joué par Spetses dans la guerre d’Indépendance. Pourtant, c’est dès le XVIIIe que l’île se distingue, en soutenant les Russes dans leur guerre contre les Ottomans, lors de la Révolution d’Orloff (1770) ; victorieuse, la Russie signa un très avantageux traité, qui bénéficia aussi à Spetses, l’autorisant à utiliser le pavillon russe pour établir des routes commerciales dans toute la Méditerranée. La petite île en profita pour développer de nouveau une flotte importante qui lui assura un avantage économique indéniable. Et à partir de 1821, Spetses va très vite transformer ses bateaux commerciaux déjà bien armés contre les pirates, en navires de guerre dotés de canons.

C’est ici qu’intervient la Bouboulina*, fille d’un capitaine originaire d’Hydra, emprisonné par les Ottomans à Constantinople pour sa participation à la Révolution d’Orloff – bon sang ne saurait mentir… Héritière des biens de son second mari, tué en mer en 1811, elle fait construire quatre navires, enrôle des marins, hisse le drapeau révolutionnaire sur son bateau amiral l’Agamemnon et se lance dans la bataille, participant au blocus des villes ottomanes, comme Nauplie et Monemvassia. Elle se voit décerner le titre de Kapetanissa, en récompense de son courage et de ses prouesses dans les combats. Même si la vie de cette fière héroïne a été quelque peu enjolivée par la postérité, elle reste le symbole de l’île, dont on découvre immédiatement la silhouette en débarquant du ferry.

Du port moderne, on suit la côte jusqu’à l’ancien chantier naval, en longeant les belles maisons d’armateurs, de capitaines et de négociants, témoins du développement économique de l’île au XVIIIe. Toutes sont lovées à l’abri des regards dans de grands jardins, protégées par de hautes clôtures blanches. Des mosaïques de cailloux en noir et blanc dessinent des thèmes marins devant les portes de bois, dans certaines ruelles, jusque sur le parvis de la cathédrale Agios Nikolaos.



C’est à l’aplomb de cette dernière que s’ouvrent le vieux port et le vieux village de Spetses et que l’on se sent enfin en Grèce. Jolies maisons fleuries toutes simples, barquettes de pêche qui se dandinent, cafés typiques où les chats profitent du petit rayon de soleil, papis qui bavardent gaillardement, et le rythme qui soudain ralentit, la respiration qui s’allège, le sourire qui revient.

On regarde travailler les charpentiers, les soudeurs, on retient son souffle lors des remises à l’eau, on écoute les ouvriers chanter, on passe la main sur le ventre renflé des coques, on se laisse bercer par le clapotis ténu de l’eau qui endort les carcasses.

Et puis, plus loin, il y a… eux, les cinq colosses, retenus fermement par des câbles immenses, comme des chevaux qu’on voudrait entraver : les turbines ronronnent, les panneaux de métal grincent, les amarres se tendent et gémissent… En prêtant l’oreille, on les entend se raconter des histoires d’ailleurs, d’autres cieux, d’autres vents ; même une sirène se languit d’eux et vient les chercher…

 

* Laskarina Pinotsis (Constantinople, 1771 – Spetses, 1825) épouse en secondes noces Dimitrios Bouboulis.

2 Comments

    1. Reply
      Kefalonia

      Ah, j’ai eu bien du mal avec cette île, tant chérie de Michel Déon. Je pensais détester Hydra et adorer Spetses, et ce fut tout le contraire. Comme quoi, nos sensibilités et notre perception des lieux sont très subjectives et nous surprennent encore. Il n’y a que le vieux port qui m’a laissé une belle émotion, pour le reste, rien. Même les habitants sont raides, un peu comme les Bretons (je sais de quoi je parle :-))

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