Terry Pratchett – L’humour potache ne suffit pas

 

La Huitième Couleur (The Colour of Magic – 1983)

Le Huitième Sortilège (The Light Fantastic – 1983)

Deux romans de Terry Pratchett in Les Annales du Disque-monde

Traduction Patrick Couton

Éditions L’Atalante

 

Sur le papier, Terry Pratchett avait tout pour plaire ; de l’Heroic Fantasy détournée et malmenée, de l’humour anglais bien trempé, une œuvre au long cours vénérée par des lecteurs idolâtres (34 volumes composent Les Annales du Disque-monde), une reconnaissance internationale, bref un monument qui met presque tout le monde d’accord. Presque.

Et pourtant, ça partait plutôt bien dans le registre parodique : dans un ensemble lointain de dimensions récupérées à la casse, dans un plan astral nullement conçu pour planer, les tourbillons de brumes stellaires frémissent et s’écartent… devant la Grande A’Tuin, tortue démesurée et prodigieuse, qui porte un fardeau composé de quatre éléphants géants. Sur leurs épaules pachydermiques, repose le disque du Monde. Un monde plat, entouré d’une mer qui tombe dans le vide et piqué en son Moyeu d’une aiguille de glace verte ; au sommet de cette aiguille s’ouvre le royaume des dieux querelleurs. Pour passer l’éternité, les dieux du Disque s’amusent et jouent avec le destin des mortels, en les lançant dans des aventures croquignolesques. Il y a de quoi faire, entre les magiciens, les héros musculeux, les trolls, les dragons, les dryades, les diablotins, les épées cabotines, les monstres tentaculaires et la grande Faucheuse, très à cheval sur la ponctualité des horaires des décès prévus.

Dans ce monde foutrarque, surgit un intrus, un petit binoclard venu du continent Contrepoids : flanqué d’un Bagage hargneux, Deuxfleurs, premier touriste à poser le pied sur le Disque-monde, est las de sa vie de scribouillard dans une compagnie d’assurances. Lui, rêve naïvement d’aventures, de bagarres de tavernes, de coupe-gorges terrifiants, et s’extasie comme un adolescent devant les exploits des héros Hrun le Barbare, Bravd l’Axlandais ou Heric Blanchelame. Pour le protéger dans ses pérégrinations, les autorités lui mettent dans les pattes Rincevent, mage raté, ancien étudiant de l’Université de l’Invisible, la faculté de magie dont le campus transcendant au temps et à l’espace, ne se trouve jamais exactement Ici ni Là. Les péripéties de Deuxfleurs et Rincevent, qui se déroulent sur les deux premiers romans de la série, nous font voyager au travers de tout le territoire, à la rencontre de personnages au mieux extravagants, au pire timbrés.

Terry Pratchett s’amuse ainsi à pasticher le genre et les tics de l’Heroic fantasy tout en glissant des petites phrases bien senties, qui fustigent un monde bien plus proche du nôtre qu’il n’était annoncé au départ.

Cependant, cette imagination débordante, ce délire de créativité, ce goût de la parodie, tournent vite à vide, par manque de fil conducteur. Les aventures s’enchaînent de façon décousue sur un tempo tellement rapide que le lecteur semble survoler d’une manière superficielle l’histoire, sans pouvoir s’attacher à la foultitude de personnages qui traversent l’action. En l’absence d’une trame intelligible, d’une progression logique, d’objectifs clairs, on a l’impression de suivre des scénettes chaotiques assemblées de guingois. D’autant que le style laisse un peu à désirer et que j’ai dû, à de nombreuses reprises, relire des phrases mal construites ; le goût de la blague, du bon mot, du calembour (pas toujours très fin) finit par irriter désagréablement car il perturbe la fluidité de l’écriture. Enfin, il est difficile d’entrer dans un monde inconnu quand l’auteur semble allergique à aligner plus de deux lignes de description. Les univers traversés, tellement originaux et surprenants, méritaient que Pratchett prenne le temps de nous les présenter. Or, incapable de donner vraiment vie à son univers, il perd son lecteur lassé dans une surenchère d’emphase, de frénésie et de galéjades au kilomètre, qui finissent par nuire au projet de départ.

On aimerait des moments de pause dans cette asphyxie permanente, un peu d’émotions et de poésie, à l’image de cette tortue stellaire parcourant l’immensité de l’univers, venant de nulle part pour se rendre nulle part, indéfiniment, d’une brasse uniforme, au sein de la bienheureuse fraîcheur des abîmes insondables de l’espace.

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