Pas d’Athènes et de Skyros avant dix longues semaines… de quoi déprimer dans un Paris saturé d’eau, aussi terreux et venteux qu’un beau matin de novembre. C’est peu dire qu’on avait comme un besoin soudain d’entendre d’autres refrains que les rincées sur les carreaux ! Alors ce soir, direction le Chat Noir*, pour un aparté grec, une soirée à la gloire du rébétiko, dont l’âge d’or remonte à l’entre deux guerres; que cela nous a fait du bien…
Je fus d’abord surprise de découvrir que le répertoire allait être un petit peu revisité selon les usages à la Française, c’est-à-dire en piano-voix ; mais il faut reconnaître que cette transposition n’altère en rien la beauté des chansons, et souligne au contraire leur souplesse vers d’autres arrangements. Le pianiste et la jeune chanteuse, Grecs tous deux – Yannis Plastiras (piano) et Alexandra Kladaki (voix), ont d’ailleurs joué avec la proximité physique que leur permet l’instrument, lors d’échanges complices, pour une vraie complémentarité musicale. Cette soirée « amicale », sans prétention, a permis aussi aux néophytes du genre de découvrir le rébétiko de la meilleure manière qu’il soit, expliqué, décodé par l’un de ses traducteurs.
J’avais lu la sélection des rébétika traduites par Jacques Lacarrière et Michel Volkovitch**, sans imaginer un jour que je verrais l’un d’entre eux dans le rôle du passeur, venu rendre lisibles des textes peu accessibles pour un public sourd à l’argot du Pirée, au vocabulaire des fumeries de haschich, à la langue grecque matinée de turc revenue de Smyrne. Sans pontifier le moins du monde, Michel Volkovitch nous a raconté les origines, les particularités, la singularité de cette musique qui fait désormais partie de l’ADN des Grecs, même des plus jeunes, avant de nous présenter au fur et à mesure de la soirée, le texte de chaque chanson, interprétée par les deux artistes.
Si vous vous intéressez un tant soit peu à la langue grecque, pas forcément au rébétiko, vous trouverez aussi dans La Grèce de l’ombre une passionnante réflexion sur le travail du traducteur : le livre met en vis-à-vis sur des doubles pages, les chansons traduites par Jacques Lacarrière et Michel Volkovitch, sans qu’ils se soient concertés. Le résultat est étonnant à plus d’un titre : on devine alors aux bords de quels abîmes se promène un traducteur avant de se jeter à l’eau, et comment sa sensibilité, ses choix, son implication dans le texte, sa relecture pour en saisir « la substantifique moëlle » va emmener toute une œuvre vers une tonalité plutôt qu’une autre. On aimerait – pour une prochaine édition ? »- trouver le texte grec en miroir des chansons pour une lecture fluidifiée, apprendre un peu de vocabulaire des bas-fonds et jouer nous aussi à l’apprenti traducteur, si ce n’est pas trop demander.
* 76 rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
** La Grèce de l’ombre, éditions Le miel des anges (lemieldesanges@gmail.com) – 2014